Journal


2012


vendredi 13 janvier

Quelle drôle d'idée, de tenir un journal. Il y a bien longtemps, pendant mes années de collège, tous les garçons tenaient leur journal, et ils collectionnaient aussi les timbres, sans trop y croire, un peu, pour faire comme tout le monde, un peu, pour passer le temps. Mais aujourd'hui, pourquoi tenir un journal? Pour qui?

Pour moi, je suppose. L'écriture me permet de penser, de réfléchir, et sans doute, mieux que la parole. Je pourrais passer la soirée, et une partie de la nuit, à raconter des histoires, sans parler de ce que je vais raconter ici.

Bien sur, à mon âge, on a plus de souvenirs que de projets. J'aurai parfois l'air d'écrire mes mémoires. Ca peut même sembler un peu triste... Je regrette la vie et la jeunesse. Ceux qui vont vers la vieillesse et l'abime, avec le sourire... je n'y crois pas. Nous arrivons devant cette porte qui nous cache tout le reste. Et rire devant l'inconnu, ca ne fait pas sérieux.


mercredi 29 février

Je suis vieux, mais pas forcément malade... sauf pour les petits inconvénients que nous apporte la vieillesse. Je n'ai jamais vraiment été malade, ou si peu, une grippe, un ou deux rhumes, quelques indigestions, probablement bien méritées. Mais tout ca remonte à la nuit des temps... la mienne. Autrement, on peut dire que je suis en bonne santé, en tout cas, autant, sinon plus que la plupart des hommes de mon âge. Mais je suis vieux, je n'ai plus de travail, plus d'argent... plus d'ami. Quant aux amants, on repassera, en fait, on ne repassera pas. Ca fait déjà un moment que plus personne ne passe, et qu'il ne se passe plus rien.

Mes jours sont longs et monotones, et mes nuits ne sont guerre mieux. Je dors aussi mal la nuit, que j'arrive à vivre le jour. Je me couche fatigué, sans pourtant ressentir le sommeil. Je me lève cinq fois par nuit, plus souvent encore, si j'essai de dormir plus longtemps. Le matin, je suis plus fatigué que la veille, et tout le reste du jour, j'attends bêtement que revienne la nuit.

Ma vie est pathétique. Je veux bien durer encore quelques temps. Mais qu'est-ce que ca change? Mourir vieux et malade, ou mourir demain matin. Enfin, ca n'est pas tellement que j'aie envie de mourir. Mais je n'ai plus aucun plaisir à vivre. J'en aurai peut-être à ne plus vivre.

Et puis, pas besoin d'être malade, pour mourir. On peut bien vivre jusqu'à cent ans, et en bonne santé. Mais on meurt quand même.

Je vais mourir. Je le sais, je l'ai toujours su, même quand j'étais encore bien jeune. J'en avais eu l'intuition, en feuilletant un livre sur les lignes de la main. J'avais constaté que ma ligne de vie est très courte, et entrecoupée d'événements. Je n'ai pourtant jamais cru à ces idioties. Mais c'est comme si ca m'avait rappelé quelque chose. C'est difficile à expliquer. Nous mourrons tous. Ca n'est pas nouveau. Mais depuis ce temps, j'ai traîné cette idée avec moi. Et très souvent, surtout quand j'éprouvais quelques joies, une petite voix intérieure me répétait: attention, ne t'y attaches pas trop, ca ne durera pas, souviens-toi...

Mais, je n'ai pas peur de mourir. La douleur... oui, si je pouvais l'éviter. Si ca pouvait se faire, un peu comme on ferme la lumière. Mais la mort, ca ne sert à rien de craindre ce qu'on ne peut pas éviter. Et puis, si ca se trouve, ca n'est pas plus mal, de l'autre côté si, bien sur, il y a un autre côté.

C'est à peu près dans cet état d'esprit que je me suis perdu dans un petit parc que je ne connaissais pas. C'était en automne, je trainais sur un sentier qui me semblait mener nulle part, je marchais, distraitement, en regardant les feuilles mortes, abandonnées un peu partout.

Je m'arrêtai sur un banc, défraichi, devant une rangée d'arbres morts, qu'un écureuil essayait de réveiller. Leurs longues branches nues et tordues, craquaient dans l‘air sec du matin, pendant qu’il tournait rapidement, autour d'un vieil arbre décharné, en essayant de rattraper sa queue... Quand il m'aperçut, il s'arrêta net, et m'observa, un moment, avec une sorte d'intérêt. Puis il reprit sa course folle, et disparut entre les branches.

Devant moi, il y avait un étang, d'un vert douteux, et presque complètement recouvert de feuilles. Les canards l'avaient quitté depuis longtemps. Il me sembla aussi triste que moi. Si je l'avais cru plus profond, je me serais foutu dedans. Je me disais, si ca pouvait se faire, sans trop de douleur...

Enfin, j'aurais pu mourir là, sur le coup, sans dire un mot. Mais je n'osais pas. Je suis pathétique. J'ai tellement aimé la vie, quand elle était encore jeune et belle. Mais c'est désormais une vieille maitresse désabusée, et je ne sais plus comment la quitter. Alors, on reste ensemble, par habitude, plus que par amour.

Enfin, j'avais le coeur gros, l'âme triste, et la tête vide. Mes dernières idées s'étaient envolées avec les canards, et c'est au milieu de ce néant informe, qu'il me vint à l'esprit, un espèce de dialogue, dont j'aurais pu m'attribuer la première partie. Quant à l'autre, je ne sais plus trop à qui j'aurais bien pu la supposer. Dans ma tête, je demandais:

- Deux ans... tu le promets?
- Deux ans, répondit une voix...
- Deux ans... peut-être trois?
- Trois ans, je le promets.

Ce dialogue me resta un moment en tête, sans que je puisse vraiment l'expliquer, et encore moins le comprendre. C'était comme on ostinato, ce genre de mélodies qui ne vous quitte plus, et qui vous empêche de penser à autre chose: deux ans... peut-être trois. Avec le temps, j'avais même ajouté: deux ans, à vivre comme un prince, deux ans... peut-être trois. Je ne sais plus d'où ca m'était venu. Ca n'est que beaucoup plus tard que j'ai finalement compris, ce que ca pouvait peut-être signifier.


mercredi 7 mars

Deux ans... à vivre comme un prince, dans un château, avec de beaux habits, du pain et du vin, en quantité, sans que j'en meure, enfin, pas tout de suite. Deux ans... peut-être trois. Il l'a promis. Et après... une éternité... si, bien sur, il y a encore quelque chose, après la vie... après la mort. Mais, une éternité, sans rien, ni personne, sans amour, sans amis...

De toute façon, j'ai l'habitude. Ca fait si longtemps que j'étire ma solitude, que je la traine à travers les années. Qu'est-ce que ca changera, à ma vie, ou à ma mort, de trainer ce vide, à travers l'éternité? Je finirai bien par m'y habituer. On s'habitue à tout... avec le temps.

Et puis, est-ce qu'il y a quelque chose, après la vie? On n'en sait rien. On ne sait même pas s'il y a un dieu, plusieurs, ou pas du tout. Les curés n'en savant rien, les évêques, les cardinaux... le Pape ne le sait pas non plus, puisque sa religion est entièrement basée sur la foi, ce qui exclus toute certitude, sauf bien sur, si on veut rester dans ce domaine de l'absurdité, où l'Église patauge depuis si longtemps, en nous imposant la foi.

Je ne crois plus en rien, sauf peut-être, en l'Univers. Je me dis, s'il a su créer la vie, l'intelligence et la conscience, à partir du néant, ca n'est certainement pas pour tout retourner au néant. D'un autre côté, je n'en sais rien.

La foi, je l'ai eu, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie. Mais la théologie, et l'histoire de l'Église, ca vous effeuille une marguerite, et parfois, ca vous la fauche d'un seul coup. Et bien avant que le dernier pétale soit tombé, il n'en reste plus de la fleur... que son nom, un nom vide de sens, comme dans ce poème de Bernard de Morlaix: quand la rose est morte, il ne reste plus que son nom, un nom vide...

Je ne crois plus en l'Église. Elle fut toujours trop au service de quelques riches, pour prétendre être au service de tous les pauvres. Bien sur, l'Église est humaine, c'est sa meilleure excuse, celle qu'elle nous sert le plus souvent. Mais qu'elle cesse alors de prétendre être divine. D'ailleurs, on voit bien que son royaume est de ce monde.

Quant à Dieu, il m'arrive encore de le prier, quand ca va mal, ou de le remercier, quand ca va bien. Mais ca, il ne m'en donne plus souvent l'occasion.

Et pourtant, il me semble que je crois en Dieu, certainement plus, comme on me l'a apprit à l'école, avec tous ces mensonges historiques, ces précisions dérisoires, ces rituels, aussi naïfs qu'inutiles, et ces dogmes imposés, comme si on pouvait vraiment imposer la foi, alors qu'on peut à peine en imposer l'apparence. Et puis, je ne sais pas s'il y a un ciel. Mais je ne crois pas qu'un être infiniment bon, puisse nous condamner aux souffrances éternelles. Cette rancune éternelle, c'est le genre de choses qu'on peut attendre des humains, et surtout de l'Église.

Et puis, mon dieu est informe, indéfinissable, et donc, innommable. Il m'arrive de sentir son existence, parfois même sa présence. Mais je ne peux pas en parler autrement, ni l'approcher de plus près. Il est... peut-être. Mais c'est tout ce que je peux en dire. Tout ce que je pourrais ajouter, ne serait que mensonges et illusions.


dimanche 11 mars

Au début de l'année, j'avais pris un billet de loto, sans trop y penser. Je ne gagne jamais. Mais j'en achète quand même, de temps en temps... on ne sait jamais. Cet après-midi, j'ai vérifié mon billet. Il est gagnant. Rien de bien extraordinaire. Mais quand même, assez pour vivre comme un prince, pendant au moins deux ans... peut-être trois.

Et puis, il me semble que c'est à peu près à la même époque... j'avais déjà consulté un médecin, pour une étrange douleur qui ne me quitte plus. Au début de la semaine, il m'a rappelé, pour me donner un nouveau rendez-vous. Il avait reçu les résultats de mes analyses, et il voulait m'en parler... en personne. Je m'en doutais bien, ces choses qu'on ne veut pas vous dire, au téléphone... C'est grave, et sans appel. Il y a peut-être un traitement, pour en retarder l’échéance, un médicament, pour enlever la douleur. Mais d’après lui, j’en ai pour deux ans... peut-être trois.

Quand même, une pareille coïncidence. Je n’ai jamais rien gagné de ma vie, et je n’ai jamais vraiment été malade. Et la même journée, je gagne à la loto, et j’apprends que je vais mourir. Je veux bien être pendu, s’il n’y a pas du Diable là dessous. En fait, il y en a... probablement.

Enfin, je suis fixé. Cette longue attente dont je redoutais la fin, depuis si longtemps, j'en suis maintenant si près. Encore quelques pas, et ca y est. Je suis désormais dans le couloir de la mort, mon dernier appel a été refusé. C'est pour bientôt. Il me reste encore à choisir mon dernier repas.

Je ne suis pas si triste, mais je n'ai plus le coeur à rire. J'ai tellement aimé la vie, et je l'aime encore, malgré tout, sauf pour ce qu'elle m'est devenue. Je vais mourir, et je suppose que c'est bien, puisque je n'ai pas le choix. Mais je n'y vais pas en riant. Après tout, la vieillesse, la maladie et la mort, c'est peut-être le commencement de quelque chose... ou la fin de tout.


mardi 13 mars

En attendant, on m'a donné une suite, dans un hôtel privé, près du grand fleuve. Ca n'est pas Versailles. Mais c'est assez bien pour moi. Le propriétaire est Flamand. Il porte un nom d'oiseau. Il voyage beaucoup, on ne le voit jamais. La concierge me rappelle Mme Hudson. Mais je ne suis ni Sherlock Holmes, ni Watson. En fait, je ne sais plus trop qui je suis, si je l'ai jamais su. Peut-être même que je ne suis personne, pour ce que ca change.

Derrière l'hôtel, il y a un parc, traversé par un sentier... qui ne mène nulle part, sauf peut-être, à cet étang desséché, où il ne reste plus que des feuilles mortes, brunes et gelées. L'écureuil saute toujours, d'une branche à l'autre, pour donner l'impression de s'occuper à quelque chose.

De l'autre coté, il y a le village. Je m'y rends, en marchant, le soir: en ce moment que le jour fuit... J'y vais rarement le jour. Je n'ai pas eu le temps d'en faire le tour. De toute façon, les seuls commerces qui m'intéressent, sont ceux où on se rend, sans raison.

Je m'arrête souvent à ce petit café, où les amis vont finir la soirée, à trois ou quatre par table, sauf quand ils sont seuls et cachés, derrière un vieux journal, en tournant parfois la tête, pour voir si leur compagnon arrive bientôt.

Je suis toujours seul, à ma table, un thé noir et tiède, au bout du bras... de la main. Je laisse trainer un livre, devant moi, comme si j'allais bientôt l'ouvrir. Mais je l'ai déjà lu, lui, et plusieurs autres. Désormais, les livres me servent de paravent, d'alibi... à ma solitude.

Et pourtant, moi aussi, j'attends quelqu'un, un ami, que je ne connais pas, ou qui n'existe pas. Je sais bien, qu'il ne viendra pas. Mais je l'attends quand même. On ne sait jamais. Et puis, quand je ne l'attendrai plus, il sera temps de partir, de quitter... et pas seulement ce café.


samedi 17 mars

J'ai commencé à m'installer. J'ai acheté une table et des chaises, pour meubler la salle à diner, où je ne dîne jamais. Au salon, j'ai installé un divan, sur lequel je ne m'assois jamais. Je passe presque tout mon temps, dans ma chambre, où j'ai plusieurs bibliothèques, pleines de livres que je ne lis plus, de films que je ne regarde plus, de disques que je n'écoute plus... et bien sur, il y a mon lit... dans lequel je ne sais plus dormir.

Il y a au moins ma table d'écriture, sur laquelle je tape ce texte dérisoire... que personne ne lit, de toutes façons, qu'est-ce que ca change. Mais, je me dis, avec Internet, peut-être qu'à l'autre bout de la planète, il y a quelqu'un qui comprends... et puis, j'en doute. Notre monde est plein de ces petits écureuils qui s'agitent sans cesse, comme pour donner à tout le monde, l'impression de s'occuper à quelque chose. S'occuper... est-ce bien de ca qu'il s'agit?

J'ai aussi une petite table et deux chaises, que j'ai installées sur ma terrasse. Là, au moins, j'y vais quelques fois, justement, pour ne rien faire, enfin, rien d'autre que de laisser venir ces rêves que je ne fais plus la nuit, et que j’attends le jour, avec un verre de vin, une vodka, un whisky...

Et puis, il y a mon piano, mon violon et mon traverso, les seuls objets qui me sont véritablement importants. Hélas, je n'ai jamais réussi à sortir le moindre son, de mon traverso. Je le garde quand même, en souvenir d'un ami qui en jouait merveilleusement. Quant au violon, je le garde aussi. Mais, dans un appartement, il m'est désormais impossible d'en jouer, sauf peut-être, en y installant une sourdine, ce qui en gâche le son, définitivement.

Il me reste le piano. Je joue un peu, en amateur: Beethoven, ses sonates, quelques mouvements, Chopin, trois ou quatre préludes, deux ou trois nocturnes, une ou deux valses, Debussy, Clair de lune, Rêveries, Les Arabesques, Liszt, Un Sospiro, Consolation, et quelques petites pièces de Schubert, de Schumann. J'aime Fauré et Ravel. Un peu difficile pour moi. Quant à Rachmaninov et Mathieu, leurs mélodies me touchent au plus profond de l'âme. Mais ca prend des mains de géants pour les exécuter, et un talent que je n'ai pas, pour les interpréter.


vendredi 13 avril

Ce matin, j'ai vu mon notaire, d'abord, pour lui confier toutes ces tâches importantes, et terriblement ennuyantes, et aussi, pour compléter mon testament.

La chose l'a un peu surpris, je n'ai plus d'argent, peu de biens et aucun héritier. Mon patrimoine se limite à quelques manuscrits inédits, plusieurs livres rares, et d'autres objets... inutiles souvenirs de voyages. Quant à mes héritiers légaux, je les avais déjà radiés, soit parce qu'ils n'ont jamais démontré le moindre intérêt, pour mes manuscrits ou mes livres, soit parce qu'ils ne m'ont jamais démontré le moindre intérêt. Ca n'est pas que je sois rancunier, mais je ne suis pas idiot. Je ne vais pas laisser mes livres à quelqu'un qui ne sait pas lire, ou qui ne s'en donne pas la peine, ni à quelqu'un qui voudra les vendre, ce qui est souvent la dernière limite de l'imagination populaire. J'ai d'ailleurs prévenu mes amis bouquinistes, de ne pas racheter mes livres.

Bien sur, il me reste encore un peu de temps, pour trouver un héritier, sinon, le peu que je possède encore ira à un jeune homme, inconnu, que j'ai demandé à mon notaire, de bien vouloir trouver pour moi. Ca l'a fait sourire, le pauvre homme s'imagine encore qu'il quittera ce monde avant moi.


vendredi 25 mai

C'était le soir, un début de fin de semaine, et je marchais dans le village, sur les trottoirs larges, à travers la foule grise, et sans doute, mais sans le savoir, j'y cherchais quelques lueurs...

Le village est surtout peuplé de vieilles veuves, et de vieux maris solitaires. Je me prends souvent à penser que, d'ici quelques temps, la place sera pleine de vieillards, autant que jadis, elle fut pleine d'enfants, une explosion d'enfants. Ce sera bientôt une implosion de vieillards.

Mais il y a aussi quelques jeunes couples, puisqu'on y rencontre plusieurs enfants. Ils n'y sont sans doute pas plus nombreux qu'ailleurs. Mais ici, les enfants sont plus souvent dehors, qu'à l'intérieur... à regarder la télévision.

Ce soir là, il y avait aussi, plusieurs groupes de jeune gens, un peu partout, sur les terrasses, dans le parc. Ca donnait de la couleur au village, de la jeunesse, de la vie. Tous ces jeunes gens qui vont bientôt prendre leur place, et la notre. Pour l'heur, ils allaient plutôt fêter la fin des cours, et le début des vacances.


samedi 23 juin

J'étais à ce petit café, seul, comme d'habitude, un thé froid, au bout du bras... de la main, un vieux livre sur un coin de la table, et j'observais cet espace informe, quelque part, devant moi. J'étais dans la lune, par le seul moyen que je connaisse de m'y rendre, quand j'aperçus ce jeune homme... Ca n'est pas que je porte attention à tout ce qui entre, s'arrête au milieu de la place, et la fouille du regard, à la recherche d'un ami, ou d'une table vide. Je l'ai tout simplement aperçu... par distraction. Et puis, il était différent des autres.

D'abord, ce café n'est pas typiquement un endroit pour les jeunes. Il n'y vient que de vieux messieurs, comme moi, et de plus vieux encore. Aussi, l'apparition de cet enfant, c'est un peu comme si un papillon était venu butiner des fleurs séchées, ou se poser sur une branche morte. Et puis, il était vraiment différent. En sandales, pantalon foncé, chemise pâle et chapeau de paille, avec un long ruban noir qui lui tombait sur l'épaule, on aurait dit un jeune homme du siècle passé. Il ne lui manquait que la canne de jonc.

Il resta un moment, au milieu de la place, comme ces modèles qui posent, pour vous montrer ce qui se portera cet été. Puis il s'installa à une table, dos au mur, face à tout le monde, sans aucun livre, ni même un journal. Quand on lui apporta un café, et il me sembla encore nu. C'était presque indécent. Je n'osais plus le regarder.

Je prétendis alors m'intéresser à ce livre qui trainait sur ma table. Je le tirai à moi, l'ouvris, et en tournai quelques pages. C'était plus pour donner le change, car je me laissai bientôt couler au fond de mes rêves.


vendredi 29 juin

J'ai revu cet étrange garçon. Il s'habille toujours de la même façon. Ca lui donne un genre que je ne sais pas trop comment définir. Je l'ai revu sur les terrasses, dans presque tous les cafés, à l'épicerie, à la pharmacie... Dans un village, on rencontre souvent les même gens. Mais celui-là, il me semble que je l'ai rencontré plus souvent que les autres.

Parfois, il me saluait, de loin, comme s'il venait de me reconnaitre. Mais, très souvent, il semblait m'ignorer totalement. Il passait pourtant, tout près de moi, le regard distrait, comme s'il ne me voyait plus... étrange. Et puis, il me semble aussi qu'il ne salue jamais personne d'autres que moi. Ca aussi, c'est bien étrange.


mercredi 29 août

L'été est terminé. Il reste un mois, et c'est encore un de trop. L'été me fatigue. Je n'y trouve que chaleur, humidité et bruits... des bruits de constructions, de courses automobiles, de feux d'artifices, ou de voisins qui fêtent toute la nuit... Je n'aime pas l'été. Je préfère la fraicheur, aux chaleurs humides, les soirées et les nuits, à la journée, l'automne et l'hiver, à l'été. Je suis nordique, nocturne et automnal.

Je n'ai rien fait de l'été, je n'ai rien écrit, pas même ce misérable journal. J'ai bien visité quelques terrasses. Au village, on peut facilement en changer, tous les jours. Et puis, il y a celle du club de golf. Je n'y joue pas. Mais j'y déjeune parfois. Ce matin, j'y étirais mon deuxième café, quand j'aperçu ce jeune homme... seul, au départ.

Puisque je n'avais rien d'autres à faire, je l'ai attendu un moment. Mais je ne l'ai pas revu. J'imagine qu'il a quitté, au milieu du parcourt, sans jamais repasser par le Club House... étrange garçon.

Vers la fin de l'après-midi, je l'ai aperçu. Il marchait, devant moi, lentement, sans but. Je pensais le rejoindre, le retrouver... par hasard. J'ai allongé le pas, sans que ca paraisse. Mais, arrivé au coin de la rue, je ne le voyais plus. Encore une fois, il avait disparu... étrange jeune homme.

Maintenant que j'y pense, je ne l'avais pas revu de l'été. On dirait qu'il m'est revenu... avec mon goût de l'écriture.


vendredi 31 août

La nuit est noire et belle. Un vent fort souffle sur les arbres, et dans leur feuillage. On dirait le chant de la mer, ou celui de la mort. Je me sens si bien, j'irais dormir nu, sur ma tressasse, frissonner toute la nuit, en espérant ne plus jamais m'éveiller.

C'est la nuit idéale pour partir. Je le sens bien. Je suis prêt, depuis longtemps. J’ai fais mon bagage, j’ai déjà mon billet, et il me semble que j’entends le train venir.

Hélas, je le sais bien, le temps n'est pas encore venu. Et puis, fera-t-il plus beau, alors? J'en doute.

On ne choisit jamais... ni le jour, ni l'heure.


samedi 1 septembre

Ce matin, l'air était frais. Je me suis dit, enfin, l'automne est arrivé. En fait, il reste encore un mois à l'été. Mais avec cette fraicheur, ca m'autorise presque, à reprendre mon horaire d'automne.

Je suis donc allé à la bibliothèque, pas tellement pour y trouver un livre, j'en ai presque autant, à la maison. Mais j'aime bien me trouver dans un endroit calme, et pourtant, plein de silencieux lecteurs. En fait, la plupart du temps, je vais plutôt y lire mes livres. Je me choisi un fauteuil, loin des conférences littéraires, et des mouvements étudiants, et j'y passe une partie de l'avant-midi... à lire.

Ce matin, j'avais apporté deux ou trois livres... on ne sait jamais, et j'avais commencé mon office des lectures, quand un bruit sec attira mon attention.

C'était ce garçon. Il avait tiré une chaise, et s'était assis, tout au bout de la table, sans aucun livre, comme s'il attendait quelqu'un...

Avant que son regard surprenne le mien, je retournai à mon livre, sans aucune intention de poursuivre ma lecture, rien que pour me cacher, entre les pages. Quand, un moment plus tard, j'osai enfin lever les yeux... le garçon avait disparu.


dimanche 2 septembre

Je marche beaucoup, surtout le soir. J'aime traverser le village, voir les gens, vérifier les commerces. Je n'y achète rien. Mais j'ai parfois l'impression de visiter un musée. On vous propose des objets étranges, on les présente comme s'ils étaient utiles, indispensables. Mais, la plupart du temps, on n'a pas la moindre idée de ce qu’on pourrait en faire. Si jamais je devais me laisser séduire, je les classerais avec ces autres objets... inutiles souvenirs de voyage.

Il y a aussi le parc, il longe le village, comme moi. Nous marchons ensemble, souvent, je m'assois un moment, avec lui, sans rien dire, et nous regardons passer les gens. Je ne sais pas si nous sommes amis, en tout cas, nous sommes bons compagnons... de vieillesse. Quoiqu'on le rajeunisse régulièrement, alors que moi... Gageons qu'il sera encore frais et jeune, longtemps après que je n'y serai plus.

Et puis, le parc, c'est un endroit de rassemblement. D'abord, celui des vieux. Ca, on repassera. Des vieux, j'en vois tous les matins, dans le miroir de ma salle de bain. D'abord, ce type interdit qui m'observe bêtement, pendant que je me rase. Il y en a un qui m'attend dans le corridor de l'immeuble, puis un autre dans l'ascenseur. Il y en a partout. Pourquoi les gens s'entourent-ils d'autant de miroirs? Pour y retrouver un silencieux compagnon? Ou pour se rappeler de ce que la nature leur a fait?

Je préfère encore le parc. Il n'y a aucun miroir, plusieurs vieux messieurs, mais de nombreux enfants et jeunes hommes, qui y font toutes sortes d'acrobaties, avec leur vélo, leur planche à roulette, et même avec leur trottinette. Je me prends souvent à rêver à tout ce que je pourrais faire, si j'étais encore jeune. Mais, franchement, je ne sais pas si je réussirais à suivre ces jeunes gens. En fait, je sais bien que non. Je serais jeune, peut-être. Mais j'aurais encore l'air d'un vieux, avec mes livres, ma musique, et mes souvenirs.


lundi 3 septembre

Depuis quelques temps, les jours sont plus courts, et les nuits plus longues, pour ce que ca change... moins de lumière, plus de fraicheur, autrement...

Mais ce matin, l'été est parti d'un seul coup, en claquant la porte, comme un domestique qu'on renvoie. Je ne le regrette pas. Mais ca surprend. En une seule journée, la température a baissé de dix degrés, les feuilles ont jaunis, et plusieurs sont déjà tombées. J'avais si hâte de voir la fin de l'été, on dirait maintenant que je redoute un peu l'hiver. Au moins, si l'automne peut durer.

J'aime l'automne. C'est une saison qui me convient. Des jours sombres et frais... on s'habille plus chaudement, on sort moins souvent, moins longtemps. On rentre plus tôt, on allume le foyer. On ouvre une vieille bouteille de porto, de sherry. On trouve un bon livre...

Pas tout à fait. Je ne m’habille pas beaucoup plus qu’en été. Mais je sors plus souvent, plus longtemps, et je rentre plus tard. Je n’ai pas de foyer, et ca me manque. Je n’ai ni porto, ni sherry, et ca ne me manque pas, ou si peu. En fait, je ne m’y connais pas. Mais puisqu’on en parle, et il parait que c’est bon, j’irai en chercher quelques bouteilles. Ca ne peut pas faire de mal.

Quant aux livres, je n’en manque pas. J’ai même peur de ne pas en voir la fin. Plus de huit cent livres à lire, en deux ans... peut-être trois. Ca fait quand même beaucoup d‘heures de lecture.

L’automne, c’est aussi et surtout, ma saison d‘écriture. Mais il ne faut pas croire que je délaisse ma lecture pour autant. Au contraire, je lis même plus qu’en été. C‘est en quelques sortes, la nourriture de mon écriture. Je n’y prends pas directement mon inspiration. Mais, entre les lignes, tout ce qui n’est pas écrit, ca me transporte souvent, bien au delà des mots, enfin, ca rappelle parfois les Muses.

Il y a quelques années, je lisais Hugo et Dumas, tout en écrivant une série de rêves érotiques, poétiques ou romantiques, qui n’avaient rien à voir avec mes lectures. Le gout de l’écriture me vient en lisant. Il m’arrive aussi d‘écrire, en en écoutant de la musique, ou d’aller marcher, en me la jouant dans la tête, surtout en foret, en automne, quand les arbres nous montrent enfin leurs vrais couleurs...

L’automne est ma saison de rêves. C’est peut-être la lumière plus sombre qui me permet de marcher, en rêvant. Je suis un peu somnambule. En fait, ca n‘est pas le bon mot, s‘il y en a un. Car je ne marche pas en dormant. Mais je rêve en marchant. C'est mon côté... onirique.


mercredi 5 septembre

J'ai revu ce jeune homme, plusieurs fois, presque tous les jours, sur une terrasse, sur la rue, dans le parc. Il marchait... sans but.

Je l'ai revu ce matin. J'avais apporté un livre que j'avais ouvert, sans trop de convictions. Après quelques pages, j'étais déjà retourné dans la lune, et je m'y trouvais encore, quand j'aperçus un mouvement, devant moi.

C'était ce garçon. Il marchait lentement, vers un banc. Il s'y arrêta, un moment, distraitement, comme s'il n'était plus tout à fait certain, puis il s'y installa, avec une certaine nonchalance, j'allais dire, une sensualité... et pendant un moment, il me sembla qu'il regardait dans ma direction... qu'il m'observait.

Mais, je n'en suis pas certain. J'avais gardé mes lunettes de lecture, et je voyais le paysage, comme au travers des brumes. J'enlevai mes lunettes... le temps que mon regard s'ajuste, le garçon avait disparu. Le banc était vide, un vieux journal y trainait encore, au milieu des feuilles mortes, le vent lui tournait les premières pages.

Un moment plus tard, une pluie fine recouvrit les feuilles luisantes. Le paysage changea de teinte. Je m'en lassai mouiller, distraitement.

Je me disais, j'aurais du lui parler, lui dire un mot, une bêtise... le saluer. Mais, pour la première fois, il me vint à l'esprit que ce garçon n'était peut-être pas réel. Après tout, je rêve aussi bien le jour que la nuit, et mieux, en fait, puisque je dors si mal, la nuit. J'aurais eu l'air idiot, de parler à un banc vide, un fantôme, une illusion...

D’un autre côté, je suppose que nous pourrions être amis, une amitié... platonique, bien sur, une amitié qui se nourrit d'illusions... parce que les autres, on a beau les nourrir, on ne sait pas trop avec quoi, elles finissent quand même par s'épuiser, par mourir. Les véritables amitiés ne durent pas. Il n'y a que les rêves, pour survivre plus longtemps. Le danger, c’est de les réaliser. Quand le rêve devient réel, il meurt presqu'aussitôt.

Après un moment, j'étais tout à fait trempé. Je sentais l'eau me couler, sur le visage, dans le cou. Mais, quelle importance, je me suis levé, lentement, je n'étais pas encore bien éveillé, et je suis retourné chez moi... comme un somnambule. C’est bien ainsi qu’on le dit... quand on marche en rêvant.

Je me suis réveillé, un peu plus tard, dans un fauteuil du salon, croyant tout d'abord que j'avais rêvé tout ca. Puis j'ai remarqué les flaques d'eau, à mes pieds. Je n'avais donc pas rêvé! Ensuite, j'ai vu la porte patio... ouverte. Il pleuvait encore, alors, je ne suis plus sur de rien.


vendredi 7 septembre

Cette nuit, il a presque gelé. Ce matin, c‘était encore froid. Je ne me plain pas. L’été est parti, un peu tôt, un peu vite, avant la fin de son contrat, et sans dire un mot, comme un domestique qu’on chasse. Je me demande s’il n’est pas parti avec l’argenterie. Et puis, il me semble qu’il me manque un livre... peut-être, celui que je n’ai pas écrit. Il faudra voir, cet automne. En tout cas, avec les fraicheurs, je retourne à mes occupations habituelles: lecture, écriture...


mardi 11 septembre

Comment appelle-t-on ces idées qui vous viennent en rêves, quand vous ne dormez pas encore, et que vous être presque éveillé? Des songes? Des visions? J'ai eu ce genre de visions, comme un triptyque, une oeuvre en trois tableaux.

Au premier, j'étais dans un parc de la ville. Le parc était vide, tout était si sombre. C'était la nuit. J'entendais le vent, dans les arbres. Leurs longues branches dansaient, en sifflant, doucement, et moi, j'étais assis, seul, sur un banc, et j'attendais... le matin... la prochaine nuit... la dernière...

Au second tableau, j'étais couché, près du banc. J'étais faible, incapable de me relever, de bouger. Le sang me coulait par le nez, la bouche, les oreilles. Il devait aussi me couler en dedans, quelque part, entre ces organes vieillis. Je me suis dis: je meurs...

Au dernier, je ne voyais plus rien, je ne sentais plus... ni la douleur, ni la peur... ni le bonheur de ne plus souffrir. Je ne sais plus, où je me trouvais. Je pense que je n'étais plus nulle part. Et je suppose que j'étais mort.


jeudi 13 septembre

J'ai passé la journée chez moi, seul, avec mes souvenirs. J'ai attendu que vienne la nuit, que sonne l'heure... et je suis sorti, à minuit, comme un vampire. J'ai hanté les rues désertes, de mon village endormi. J'entendais résonner mes pas, jusqu'au bout de la nuit. J'ai marché, longtemps, sans trouver... à mordre... embrasser, caresser. Sans doute, la Lune nouvelle... ca n'était plus le temps, pour les vampires, pour les amants. Et quand bien même, j'aurais voulu serrer une main, il n'y avait rien, ni personne... que mes pieds, sur la rue déserte, et l'écho de mes pas, dans le noir.


samedi 15 septembre

J'ai peut-être insisté... un peu trop. Je l'ai peut-être froissé. On dirait bien que l'été est parti. Si ca continue, je vais devoir chauffer. Ca ne me gêne pas. Mais j'espérais un automne plus long, des journées fraiches et ensoleillées, des après-midi de feuilles jaunes et tombées, quelques instants de noix trouvées, et d'écureuils occupés. Mais si on passe directement de la chaleur humide, à la pluie froide, je ne vois pas ce que ca change. Aussi bien nous envoyer deux pieds de neige. On dirait un acte de rébellion. Le temps serait-il contre moi?

Il est vrai que je ne m'en suis jamais vraiment occupé. Je n'ai jamais regardé le temps qu'il faisait, avant de sortir, que ce soit pour aller travailler, marcher, ou flâner sur une terrasse... passer la soirée chez des amis... ou au cinéma. Le temps ne m'a jamais empêché de faire quoi que ce soit. Il avait beau pleuvoir, venter, neiger, je lui marchais dans l'eau, au vent, et dans la neige.

Et maintenant que je suis vieux, je regarde un peu, par la fenêtre, avant de sortir... mais je sors quand même, peu importe ce qui nous tombe sur la tête. Je ne vais pas arrêter le temps, il ne m'arrêtera pas non plus.

Je ne m'occupe pas du temps. Mais, depuis quelque temps, il me semble que le temps passe beaucoup trop vite. C'est toujours le matin, le midi, ou le soir. Il faut se coucher, se lever, et attendre quelques heures, avant de tout recommencer. On dirait une machine infernale. Je n'ai plus le temps de rien faire.

J'avais prévu d'écrire, tous les jours, au moins ce journal, et peut-être même... un livre. Mais ca fera bientôt un an, et j'ai peine à y écrire, une fois la semaine, et encore, je n'ai rien de spécial à dire. Je ne fais plus rien, le temps passe trop vite. Nous sommes déjà en septembre, presqu'un an. Est-ce que le diable n'est pas en train de me jouer un tour... à sa façon? Nous avions pourtant dit deux ans... peut-être trois. Mais si on les passe, à cette vitesse, je n'aurais bientôt plus de temps.


lundi 17 septembre

Quelle nuit! Et ca n'est pas fini. Je dors, je m'éveille, je me rendors, je me réveille. Quelle mauvaise nuit! Et, je le sens bien, ca n'est pas la dernière. Machination diabolique! Mes nuits sont plus longues que mes jours. Je ne sais plus si ca m'est encore bien utile de dormir... et même d'essayer.

Je me suis fait avoir. Je suis riche... mais malade. Et derrière moi, j'entends rire cet animal:

- Deux ans... peut-être trois.

Oui, deux ans de richesses... et de maladie. Nous avions pourtant une entente, un pacte. Deux ans, à vivre comme un prince, avant de mourir... pas deux ans à vivre, comme un prince qui meurt.

- Allons, disait ce notaire infernal, c'est égal, je t'ai donné la richesse, en même temps que la mort.

Ca, il faut bien le dire, ca n'était pas très fort. Il faut être drôlement malin, pour faire des affaires avec le malin. Bon, j'ai perdu... je suis perdu. Est-ce qu'il n'y aura pas au moins une petite consolation? On dirait bien que non.


mercredi 19 septembre

J’ai revu ce garçon... au parc, en levant les yeux, d’un livre, où je m’étais perdu... en rêveries. Je l’ai aperçu, là, devant moi, sur un banc. Il portait des souliers, un pantalon d’exercice, un chandail à capuchon... les deux mains dans les poches, le menton sur la poitrine, il me semblait en réflexion. Une frange blonde lui sortait du capuchon. Ca lui donnait l’air d’un enfant... à quoi bon, il n’a pas vingt ans. Il aura l’air aussi jeune à trente ans. J’avais encore cet air adolescent, à quarante ans. Mais le temps m’a bien rattrapé. Il passe si vite, surtout quand on est vieux, surtout, quand on essaie de le rattraper.

C’est une erreur de croire que les vieux s’ennuient, qu’ils ne savent plus que faire, du peu de temps qu‘il leur reste. Ils voient passer les jours, comme un film rapide. Tout va si vite. Ils se couchent, un lundi, et s’éveillent le jeudi. Ils ne savent parfois plus, si c’est l’heure du diner, ou du déjeuner. Les jours s‘écoulent plus vite que les heures. On saute des semaines, des mois, et puis, c'est la fin de l‘année:

- Tient! Encore une de passée.

Je me rappelle de mes années de jeunesse, quand je désespérais d’être enfin grand. Il me semblait que le temps n’avançait pas, et que j’aurais encore et toujours, onze ans. Plus tard, j’ai eu quinze ans, et pendant un moment, il me semble aussi que j’ai eu vingt ans. Mais tout ca a passé si vite... et si loin, dans le temps. Et j’entends rigoler cet abruti, pendant qu‘il tourne la manivelle du manège, de plus en plus vite:

- Viens, dit-il, en riant, je t‘attends.

J’étais à peine revenu de ma rêverie... j’ai constaté que le garçon avait disparu, enfin, lui, ou son image. Je dois me décider, une fois pour toutes. Il faut que je parle, à ce garçon... ou ce fantôme.


jeudi 20 septembre

J'y ai beaucoup pensé... je ne pense qu'à ca. Il faut que je parle à ce garçon, peu importe s'il est réel... ou chimérique.

J'y ai pensé toute la journée. Ca fait déjà un moment que j'en parle, il faut maintenant que je lui parle. S'il est réel, eh bien, depuis le temps qu'il me suit, qu'il me poursuit, je suppose qu'il ne verra pas d'inconvénient à échanger quelques mots avec moi. Et si ca n'est qu'une illusion, alors, il n'y verra que du feu, enfin, c'est une façon de dire. Mais le cas du garçon est réglé. La prochaine fois que je le voie, je lui parle, enfin, je le salue... de loin.

Mais, il y a les autres. Que dira-t-on de moi, si on me voit faire la conversation à un banc vide? D'un autre côté, on n'en dira rien de mieux, si on me voit parler à un garçon... si jeune, alors que je suis... si vieux. Dans le fond, il suffit d'être discret.


vendredi 21 septembre

Mes nuits sont longues, interminables, entrecoupées d'éveils étonnés et solitaires. La nuit est pour moi une mort lente, encore une maitresse que j'ai bien aimée, et qui ne me dit plus rien. Vais-je aussi la quitter? Je crois qu’il me faudra bientôt quitter, tout ce que j’ai aimé. Si je pouvais aussi laisser derrière moi, ce que j‘ai détesté...

Et cet automne qui m‘abandonne, mon doux automne me quitte, pour un hiver précoce. L’âge et l’expérience ne valent-ils pas mieux que la jeunesse et l’innocence? Encore une douloureuse chimère. Car je sais bien ce que vaut la vieillesse. Peu importe sa quantité ou sa qualité, on ne peut jamais l’échanger pour une nouvelle jeunesse... même très courte.

On pense que l’été dure très longtemps. Mais il est aussi court que la jeunesse. Tous deux ont cette chaleur humide, qui dure à peine le temps d‘un baiser. Pour les quelques mois que dure leur vert feuillage, le reste de l'année, les arbres sont nus, desséchés, abandonnés. Leurs feuilles mortes gisent à leurs pieds, jaunes et brunes... toutes repliées. Le vent d'automne agite leurs branches nues, il les fait pleurer. Ils semblent tristes et morts. En hiver, les arbres agonisent. Mais au printemps, leurs feuilles vertes reviennent... tandis que ma jeunesse, et ma vie, aucune saison ne les ramènera.

Mes années de jeunesses furent moins nombreuses que celles de ma vieillesse, et la vie, même longue, est toujours plus courte que la mort. C’est pourquoi la vie est si précieuse, et la jeunesse est un joyau.

Hélas, mon cristal ne brille plus.


samedi 22 septembre

Ce soir, le village dormait déjà, les rues étaient vides. Je rentrais chez moi, en marchant, lentement. Je traversais le parc, sans trop savoir pourquoi. À cet endroit, ca n’est plus qu‘une mince bande de verdure, quelques arbres encore verts, et deux ou trois bancs, devant un étang abandonné.

En passant, j’aperçu une ombre, sur un banc. De loin, je ne voyais que le dos d’un buste sombre. Mais je reconnu bientôt la forme de sa tête nue, et ses longs cheveux blonds. C’était ce garçon...

Certains soirs, tout me semble comme un rêve. Ca me rend plus hardi. Je suis comme ces vampires qui ne sortent que la nuit. Je m’approchai de lui, doucement. Mais je m’arrêtai... à quelques distances, interdit, embarrassé par ma bêtise. S’il fallait que le garçon se retourne...

Le garçon tourna la tête, lentement, comme s'il m‘avait deviné. Et soudain, j’entendis sa voix profonde.

- Ne restez pas là... venez vous asseoir.

Je m’approchai, et je pris place sur son banc, sans le regarder. De jours, on peut bien partager un banc, avec un inconnu. Mais le soir, la nuit, si on voit deux types sur le même banc... enfin, ils ne peuvent plus demeurer inconnus bien longtemps. Je laissai donc passer un peu de temps, et j’osai lui demander:

- Tu viens souvent ici... la nuit?

Pour toute réponse, il sembla s’intéresser un moment, à ce bruissement qui agitait la branche d’un gros arbre, puis il baissa la tête.

- Je ne suis pas d'ici...
- Ca, je l'avais bien deviné. Tu es de la ville...
- Mais non! dit-il, en soupirant. Quand je dis, pas d'ici...
- Quoi? Tu viens d'ailleurs? D'une autre province? Un autre pays?
- Vous êtes encore bien loin.
- Mais voyons, tu ne viens quand même pas d'une autre planète, ou d'une lointaine galaxie.
- Si ca n'était que ca...
- Allons, tu te moques de moi...

Il ne se moquait pas de moi. Ca m'a pris du temps pour le comprendre, du temps, et de longues explications. Ce garçon vient d'un monde, une dimension, bien réelle, mais qui ne peut entrer en contact avec la notre, que par le rêve.

- Quoi? Les rêves sont réels?
- Non, pas tous. Mais quelques uns... vous savez bien....

En effet, il me semble que je le sais. On fait parfois de ces rêves, qu'on n'ose plus conter à personne, tellement ils nous semblent réels. Par exemple, ce garçon, il ne m'apparait pas comme ces fantômes translucides. Il ne flotte pas bêtement, au dessus du sol, en trainant une longue chaine. Il ne parle pas avec une voix d’outre tombe. En fait, il me semble, tout ce qu'il y a de plus réel. Sa voix est douce et profonde. Quand il marche, il laisse des traces de pas derrière lui, bien qu'il m'ait aussi expliqué que d'autres, en laissent plutôt devant eux. Enfin, je pourrais même le toucher, et si j'osais...

Il m'a dit quelque chose qui me dérange un peu. Il a dit: aussi réel que tout le reste. Ca, je ne suis pas certain de comprendre ce qu'il a voulu dire par là. Mais pendant que j’y pensais encore, il s’est levé, il a marché lentement, devant lui, et il est disparu, entre les arbres du parc. J’allais dire, je suppose qu’il habite, quelque part, par là. Mais je commence à comprendre, avec les gens de cette dimension, il ne faut pas user de notre logique habituelle. De toute façon, elle nous sert déjà si peu, dans notre monde...


dimanche 23 septembre

J'ai vérifié, auprès des autres... discrètement. Personne ne voit ce garçon. Pour eux, il n'existe pas. Ca n'est qu'un fantôme, et encore. Mais c'est égal. Les autres garçons ne me voient pas non plus. Ils passent devant moi, ils ne voient qu'un banc vide. Pour eux, je ne suis qu'un fantôme. Nous habitons des mondes différents, qui ne peuvent pas entrer en contact... même par le rêve.

Et pourtant, ils me semblent bien réels. Je les vois, je les entends, et quand ils passent, tout près de moi, je pourrais les toucher et, si j'osais...

Les garçons... quelle race mystérieuse! Pas les petits, que j'adore, ni les grands, que j'aime bien. Mais ceux qui ne sont plus l'un, et pas encore l'autre, perdus, entre deux âges, quelque part, entre l'enfance et la vieillesse, entre la vie et la mort... Liszt aurait dit: une fleur entre deux abimes.

Ils sont jolis, comme les papillons qui vont gaiement, d'une fleur à l'autre, se posant parfois, sur la plus jolie. Mais jamais sur les fleurs fanées, ni sur les branches desséchées. Heureux enfants. Ils n'ont pas compris le merveilleux mystère de la chrysalide. Mais ils ignorent encore ce que nous font le temps, l'âge et la vieillesse.

Nous habitons des mondes différents. Il se dresse entre nous, un mur infranchissable. Déjà, ils parlent une langue nouvelle, pourtant faite de vieux mots, mais qui nous sont désormais étrangers. On ne sait plus ce qu'ils disent. Ils ne nous entendent plus, ne nous écoutent plus. Ils nous voient encore, et nous observent parfois, comme des poissons dans un étang, sans se douter qu'ils finiront bien par y tomber un jour. Mais ils n’en savent rien, ils n'ont pas compris, ou alors, ils préfèrent oublier ce mauvais rêve, le plus longtemps possible. Si je pouvais faire comme eux...

Il y a un mur, entre nous. Vous me direz, ce sont les apparences. L'enveloppe est différente. Mais le coeur et l'esprit sont les mêmes... pour ce que ca change. C'est d'abord le corps qu'on aperçoit, et c'est lui qu'on croit aimer. Et très souvent, il nous cache tout le reste... le coeur, l'esprit... et l'âme. Le temps dresse, entre nous, un mur... pratiquement infranchissable.

Jeunesse immortelle... tout passe si vite,
Petite chenille, joli papillon...
Toute une vie en seule une journée.


lundi 24 septembre

Ce matin, je relisais les dernières pages de ce journal, quand je me suis soudain souvenu de cet autre garçon, bien réel, un jeune homme, quand j'avais connu, presque par hasard, en me rendant chez un ami. Je me rappelle, il y avait du monde, des amis de sa fille. Il me les avait présentés, par politesse, des salutations, des poignées de mains, des sourires gênés, et puis ce garçon, l'ami de sa fille, il s'appelait Benoit. Je ne l'ai pas su tout de suite. Il me l'avait peut-être dit, je n'y avais pas porté attention. Mais je me rappelle que le garçon était joli, et charmant.

Quelques temps plus tard, nous nous sommes revus. Il sortait du métro, je traversais la station. C'est lui qui m'a reconnu. Il m'avait salué, amicalement, en me démontrant pourtant, comme une sorte... d'intérêt. C'est à ce moment que j'ai compris. On lui avait parlé de moi. Et sans doute, à cette soirée, chez mon ami, il m'avait remarqué. Je ne sais pas pour quelle raison il m'avait trouvé intéressant. Pourquoi il avait voulu me revoir. Je pense qu'il me supposait des activités... mystérieuses, ou d'une importance quelconque. Après tout, c'était encore un jeune homme. Rien que d'avoir quelques années de plus que lui, une voiture, une position, une importance, du moins, en apparence, c'était bien suffisant pour impressionner un jeune homme ambitieux.

Nous nous sommes revus, plusieurs fois. D'une certaine façon, nous sortions ensemble. Nous allions au restaurant, au cinéma, au café. Nous passions les soirées ensemble. Pas un jour, sans qu'il m'appelle. Même ces soirs, où il sortait avec une jeune fille, très jolie, il m'appelait en rentrant, pour me conter sa soirée, et me souhaiter la bonne nuit. Il y avait, entre nous, une étrange intimité, et je dois dire, beaucoup d'affection et de tendresse. Rien de physique, bien sur, quoi que je l'aurais souhaité.

Benoit savait que j'aime les garçons, et ca l'amusait. Quand il sortait avec son amie, il s'habillait, se coiffait, se parfumait, puis il venait me demander ce que j'en pensais. D'après lui, puisque j'aime les garçons, je pouvais lui donner l'opinion d'un expert. Il voulait être certain de plaire à son amie. Et il devait bien lui plaire. Ca n'était pas un dieu grec. Mais il était joli garçon, charmant, gentil, et il avait un sourire... diabolique.

Un soir que je le ramenais chez lui, après une soirée, passée chez son amie, il était encore beau comme un coeur, mais fatigué, épuisé. Il avait couché la tête sur mon épaule. Je sentais le parfum de ses cheveux, et je l'avais averti:

- Tu me rends fou. Si tu ne dégages pas, je t'embrasse.

En souriant, il me fit une bise sur la joue, et il reprit sa place.

- Non, dit-il, j'ai eu assez de baisers pour ce soir. Un autre jour... peut-être.

Ce garçon était charmant. Il savait repousser mes avances, sans me blesser, et même, en y ajoutant, une certaine tendresse.

Bien sur, je parle de lui au passé, parce qu'un jour, où il rentrait à la maison, une fourgonnette est passée, devant lui. Elle s'est arrêtée, la porte cargo s'est ouverte... il y avait un type, à l'intérieur, avec une arme. Peut-être que Benoit a eu le temps de le voir, de le reconnaitre, peu importe. Quand il a vu la fourgonnette, et la porte ouverte, il sut, à l'instant, ce que ca voulait dire. Sa courte vie était finie. On l'a tué, devant sa petite amie.

Je suppose qu'il avait fait quelque chose... Dans ces milieux là, on juge vite, et on condamne aussitôt. Il n'y a pas d'avocat, pas d'appel. Le jugement est définitif. Et pourtant, quand on les attrape, et qu'ils comparaissent en justice, ils ont des avocats, les meilleurs, et ils nous demandent toutes sortes d'exemptions et de permissions. Mais, quelle importance. Je ne suis pas pour la peine de mort. Ni celle qu'on imposait aux criminels, ni celle que les criminels s'imposent entre eux.

Benoit avait un rêve, une ambition: faire parti du milieu. Il y trainait souvent. Dieu sait ce qu'il y faisait. Je n'ose même pas y penser. Sans même le connaitre, certains ont dit qu'il avait probablement eu, ce qu'il méritait. Parmi, ceux qu’on appelle les honnêtes gens, il s'en trouve encore beaucoup, pour regretter la peine de mort. Ils s'imaginent avoir perdu quelque chose, une assurance, une vengeance, on ne sait pas trop. Je pense tout simplement que Céline avait raison. Les hommes aiment tuer, et se faire tuer. Il n'y a pas d'autres explications.

Je regrette beaucoup Benoit. Il était peut-être criminel. Mais les humains ont cette double nature, à la fois, ange et démon. Et puis, c'était quand même un gentil garçon, et surtout, c'était mon ami.

J'ai trainé l'image de Benoit avec moi, toute la journée. C'était un bien lourd bagage, et pourtant, j'y trouvais... comme une consolation. Un souvenir, une soirée, un sourire, c'est tout ce qu'il me reste de lui.

Souvent, je me dis, j'aurais pu faire quelque chose. Si j'avais connu ces gens, j'aurais pu les convaincre de renoncer à leur projet, peut-être même, en achetant leur compassion. Mais, je sais bien, ca n'est pas le genre de choses que vendent ces gens là. J'aurais mieux fait de dissuader Benoit de renoncer à son projet. J'avais plus de chance de le convaincre. Mais je ne l'ai pas fait. Il a été puni pour ce qu’il a fait, et moi, pour ce que je n’ai pas fait.

Ce soir, j'étais encore un peu triste. En traversant le parc, je m'étais arrêté sur un banc. J'ai pris cette habitude, avant d'en avoir l'obligation. Enfin, je ne pensais à rien de particulier. J'attendais simplement... que passe le temps. Ca m'arrive, parfois, même si je trouve qu'il passe déjà trop vite. C'est peut-être ma façon d’attendre la mort.

Perdu dans mes rêveries, je n'avais pas remarqué qu’il y avait quelqu’un, presque en face de moi, mais à peine visible, comme une ombre, cachée dans la pénombre. Je suppose qu'il était déjà là, depuis un moment. Mais j'entendis sa voix, avant de l'apercevoir.

- Il te manque beaucoup?

C'était ce garçon... de l’autre dimension. Je l'avais complètement oublié. Toute la journée, je n’avais pensé qu’à Benoit...

- Ce garçon, il te manque beaucoup?
- Qui donc?
- Benoit...
- Benoit... tu le connais?
- Tu sais bien...

Oui, je sais. Tout est différent, quand on passe dans une autre dimension. Ce garçon n'a pas besoin de lire mes pensées. Ce qui pour moi n'est qu'un rêve, pour lui, c'est la seule réalité. Et peut-être arrive-t-il dans la mienne... en rêvant. Je décidai quand même de l'identifier, une fois pour toute, comme on le fait souvent, dans notre dimension.

- Comment t'appelles-tu?
- Je n'ai pas de nom. Tu me donnes, celui que tu veux.
- Alors, je t'appellerai Benoit.
- D'accord. Mais je sais bien, pourquoi tu fais ca.
- Vraiment?
- C'est pour éviter qu'on reparle de lui...
- Tu as raison. On n’en reparlera plus.


mardi 25 septembre

Il y a un moment que je n'ai pas revu ce garçon. Il faut dire que je ne suis pas allé au parc, ni même au village... depuis quelque temps, la pluie, sans doute, le temps plus frais, je ne me suis pas encore fait à cet automne précoce, et encore moins à cet hiver qui le suivra peut-être de près. Quel dommage! S'il fallait qu'on me vole l'automne...

Et ce garçon... dans le fond, je ne sais rien de lui. Son histoire de dimensions... de voyage à travers le rêve. Il s'imagine peut-être m'avoir convaincu. Mais il me reste encore un doute. Tout ca n'est peut-être qu'une illusion. Quel dommage! S'il fallait qu'on me vole aussi ce garçon. Plus d'automne, plus de garçon, il ne me reste plus qu'à m'enfermer pour l'hiver.

Il me reste pourtant la musique et la lecture. Quant à l'écriture, aussi bien oublier ca. Je n'ai rien écris de l'été, et je sens bien que ca ne sera pas mieux cet automne.

Je n'ai plus d'inspiration. Si au moins il y avait ce garçon, qui vient peut-être d'une dimension... et même si ca n'est qu'une illusion, je ne parle pas d'affection, mais une présence, une émotion, enfin, on peut toujours travailler sur ca. Mais seul, toujours seul, que peut-on raconter, quand on vit seul? Que peut-on inventer, quand on n'a personne à surprendre, à étonner... à décevoir, parfois. On peut bien n'écrire que pour soi, et même pour personne. Mais écrire, sans rien avoir à dire...

Bien sur, il me reste la lecture. Je peux encore me plonger dans les rêves des autres... les miens sont mornes et vides, comme le reste de ma vie. Je dors mal, et je rêve pauvrement. Je n'y comprends rien. Mon éveil est plus paradoxal que mon sommeil.


jeudi 27 septembre

J'ai essayé d'inventer... une apparition de ce garçon. Je me disais, c'est facile. Je n'ai qu'à écrire que je l'ai vu, quelque part, dans le parc, et pourquoi pas, bien au chaud, à la bibliothèque, peut-être même, devant un grand livre, ou plutôt, discrètement installé dans un coin, avec un roman...

Je me demande bien ce qu'il lit. Peut-être... un livre de filles. Je sais qu'elle en serait folles, un joli garçon, qui lit un livre de filles. D'un autre côté, il lit peut-être un livre de garçons, je parle, bien sur, de ces garçons qui aiment les autres garçons. Comment puis-je en savoir si peu, sur un garçon qui sort probablement de mon imagination? Après tout, il vient peut-être d'une autre dimension.

Dans ce mensonge que j'invente à mesure, je suis resté un moment, à observer ce garçon, à essayer de deviner le livre qu'il lisait. À un moment, j'ai essayé d'attirer son attention, en refermant mon livre, brusquement. Le garçon n'a pas remué, comme s'il n'avait rien entendu. Un instant plus tard, je l'ai vu tourner une nouvelle page... et puis, je me suis dis, c'est une illusion. Il n'y a pas de garçon qui lit, pas de garçon devant moi. Il n'y a qu'un fauteuil vide. Et encore, je ne suis même pas à la bibliothèque. Je suis tout simplement à la maison, dans ma chambre, assis devant mon clavier, occupé à taper ce texte dérisoire. Ce garçon n'existe pas... ailleurs que dans mon imagination. Je l'ai inventé, et pour les besoins de ce texte, je lui ai même inventé une petite histoire. Tout ca n'est qu'une illusion, un mensonge.

Et pendant que j'essayais de me convaincre, j'ai entendu ce bruit, un livre qu'on referme brusquement, et qu'on dépose sur la table, sans trop y faire attention. J'aperçois le garçon. Il se lève, vient vers moi. Il s'arrête un moment, à ma hauteur, et me chuchote, à l'oreille:

- Vous n'existez pas. Vous n'êtes que le produit de mon imagination.

Un moment, j'ai pensé le rejoindre, et lui expliquer que moi, je suis bien réel, et que lui, n'est qu'une illusion. Mais, le temps de me décider, le garçon était disparu, entre les rangées de livres, et moi, je me suis retrouvé seul, dans mon salon, étendu sur le divan, mon violon dans une main, l'archet dans l'autre, ma partition avait glissé sur le tapis.

Et pendant que je me rappelais encore de ce rêve, je me suis hâté de venir l'écrire, dans ma chambre.


jeudi 28 septembre

J'étais avec Chopin, Liszt, Debussy... je les écoutais, distraitement, quand je reçu l'appel d'une Muse... depuis quelque temps, ca m'arrive si peu souvent, je ne vais pas faire comme si je n'avais rien entendu, et puis, qui sait ce qu'elle a en tête. Elle vient peut-être me parler de ce garçon... Bon. Je me lance.

Chante pour moi, Muse, et par ma plume, racontes-moi ce garçon qui m'apparait, aux plus étranges moments, ce garçon qui prétend habiter, une autre dimension, et qui voyage, entre les deux, par le rêve. Dis-moi, Muse, les rêves, c'est bien ton domaine, et ce garçon, tu le connais...

Ca fait déjà quelques jours que je ne le vois plus. Ca ne m'inquiète pas. Je sais bien qu'il reviendra. Après tout, il n'est pas si loin. Il vient quand ca lui plait. Moi, ca me plairait qu’il vienne plus souvent. Il me semble que j’ai des choses à lui dire... à lui demander. Mais il n’y a pas que la conversation. Je voudrais aussi passer de longs moments de silence, près de lui... autrement qu'en rêves.

Ca m’arrive, quand je suis distrait, c’est le moment que les Muses attendent. Elles me soufflent alors de ces idées...

Je me vois, seul, assis sur un banc du parc, un livre refermé au bout de la main. J’ai l’air d‘attendre quelqu’un, ou quelque chose. Mais sans me presser. Il se passe ainsi, un long moment de solitude, uniquement habité par des bruissements de feuilles, et des rires d'enfants... éloignés. Le soleil baisse rapidement, il fera bientôt nuit, et je pense à partir... rentrer chez moi.

Et puis, une ombre apparait, à la lisière du parc. Au début, ca n’est même pas une tâche. Mais je sais bien que c‘est lui, je reconnais sa démarche. Je ne le vois pas encore. Mais je l’imagine, marchant lentement, les deux mains dans les poches.

Il se rapproche, il m’aperçoit... je le vois sourire. Un moment plus tard, il s’arrête devant moi, et garde la pose, la tête basse, les deux mains dans les poches. Je sens encore son sourire narquois. On dirait un enfant qui prépare un mauvais coup. Il s’assoie près de moi, sans dire un mot. Encore un long moment de silence, puis il m’embrasse sur la joue! Enfin, il ramasse mon livre, en fait voler les pages, jusqu’au signet, et il reprend ma lecture, là où je l’avais laissée.

Il me fait la lecture, il la chuchote presque. Sa voix basse me surprend, elle me charme. Et moi je l’écoute, comblé, ravi... étonné.

Il y a un mystère, dans ce jeune homme, quelque chose qui m'échappe. Je ne sais pas d'où il vient, pourquoi il vient me voir, pourquoi il passe ces moments avec moi. Mais ca me plait. Je me sens... comme ces après-midi d'automne, où on se plait à frissonner, sous le soleil radiant. Je suis bien, et je voudrais arrêter le temps.

Mais le temps poursuit sa course, même s'il me semble parfois ralentir le pas, et le garçon disparait toujours, après ces longs moments... que je ne sais pas.


samedi 29 septembre

Certains jours, il me semble voir le monde, à travers un écran... les vitres de mon salon, celles de ma voiture. Même au parc, je suis encore dans une bulle de songes et de rêves. C'est le temps qui m'y enferme, l'âge, et tous ces moments vides qui viennent avec la vieillesse. Je ne dors plus la nuit. Mais le jour, je passe lentement de l’éveil au rêve, et sans doute, du rêve à la folie, avant d‘arriver à la mort.

Le rêve, la folie et la mort. J'en suis rendu à cet étrange carrefour, et j’attends les événements, comme le passager d‘un voyage organisé.

Je viens du néant. Mais j'ai connu la magie de l'enfance, et la triste réalité de la vie. Comment l'apprécier pleinement, quand la mort vous guette, comme une épée de Damoclès, au dessus de la tête. Il faut pourtant trouver le moyen de survivre, à cette courte échéance, et jouir de la vie, en oubliant cette épée, un moment, ou alors, attendre bêtement que le fil se casse, et peut-être, retourner au néant, enfin, là ou ailleurs. Mais avant, il y a encore le rêve, la folie et la mort.

Avec le temps, ce qu’on appelle la réalité, ce qu’on pense, être la seule réalité, cette petite vie de tous les jours, se truffe lentement de rêves éveillés. Au début, on dirait des moments d’absences, de distractions. Mais très tôt, c’est plutôt l’éveil qui devient la distraction du rêve. On est alors, à deux pas de la folie, et on en traverse le Styx, sans savoir de quel côté du rêve on se tient. La folie ne nous empêche pas forcément de comprendre le monde qui nous entoure. Elle nous garde plutôt, dans un monde particulier, où ceux qui nous entourent, ne nous comprennent plus... et nous retournons alors, dans notre bulle.

Pour le reste, il faut faire une distinction, entre la mort, et ce qui vient après, autant qu'on en fait, entre la mort, et ce qui vient avant. Mais quand on traverse le Styx, tout ce qu'on sait, ou qu'on a cru savoir, tout ca n'a plus d'importance. Une fois sur l'autre rive, on sait enfin, ou on ne sait plus rien.

De la mort, je sais peu de choses. Avant, j'en ai vu des bouts, et pourtant, je n’en sais pas plus. Pendant un moment, j’ai cru voir le monde. Je l’ai senti, touché, gouté. Je l’ai écouté... des nuits entières. Plus tard, je l’ai compté, pesé, mesuré. J’ai tenté de le réduire en équations. Avec le temps, je m'en suis fait quelques images, incomplètes, et probablement toutes fausses. Pendant un moment, j'ai peut-être aperçu, la réflexion de son ombre. Mais je ne sais toujours pas ce que c‘est. J’ai cherché, dans le petit, ce que j'avais cherché dans le grand. J’ai trouvé que le monde est un long fleuve, sans origine, et sans fin, que nous essayons vainement de traverser, au lieu de s’y laisser porter.

Notre vision du monde est limitée. Mais parce que nous sommes intelligents et conscients, nous croyons être supérieurs aux pierres, aux plantes et aux animaux. Certains humains croient même être supérieurs aux autres humains, dont ils se sont fait les maitres, et ils croient pouvoir contrôler la terre, les planètes et les étoiles de l'univers. Ils ont même installé dans le ciel, un dieu qui leur ressemble, et qui leur obéit, en tout points. Mais qu'ils prétendent servir, en détruisant le monde qu'il aurait créé. Leur vision du monde est très limitée, et à peine supérieure à celle des petites fourmis et des serpents.

J'ai vu une fourmi, grimpée au sommet d'une fleur, elle observait le reste de l'univers, en essayant de s'en faire une idée. Mais elle ignore le jardin, et voit à peine plus loin que la fleur, une fleur qu'elle ne perçoit peut-être pas autrement, que par une sensation.

J'ai vu un serpent, ramper sur le sol, la tête basse, l'air résigné, persuadé qu'il connait l'univers, le champ d'herbes sauvages, où il est né, les arbres, les pierres, sous lesquelles il se cache, et cette éternelle souris qui lui apparait, au milieu d'une espèce de magie. Il n’entend rien, il ne voit ni les formes, ni les couleurs, et pour lui, la souris n'a pas meilleur gout que la pierre. Mais il devine ses mouvements, en écoutant vibrer le sol, sous lui. Quant à l'idée qu'il se fait du monde, ca n'est guerre mieux que la fourmi.

Et puis, j'ai vu des hommes, grands, forts, intelligents, conscients, et souvent très savants, qui se font une idée du monde, en observant un ciel... où ils ne trouvent pourtant, que des étoiles disparues. Et quand ils surprennent le serpent philosophe, et la petite fourmi poète, ils sourient tendrement, devant la naïveté de ces pauvres bêtes, dont la conscience ne dépasse pas le jardin, où ils butinent, ni le champ, où ils rampent.

Est-ce bien utile, d‘être intelligent et conscient? Nous en savons à peine plus que les bêtes. Est-ce bien utile, de se faire une idée du monde? Je me demande, si Dieu existe, quelle idée il peut bien se faire du monde. Est-ce qu'il ne vit pas lui aussi... dans une bulle?


lundi 1 octobre

Jamais je n'ai senti ma vie... aussi vide. Il n'y a plus rien devant moi, pas même le rêve, ni rien derrière, même un souvenir. Je l'aurais vu, bien avant, si j'avais ralenti le pas, rien qu'un moment, et jeté un oeil distrait, par dessus mon épaule. Mais j’étais si pressé, je n‘avais pas le temps.

Toute ma vie, j'ai couru après... je ne sais plus quoi. Peut-être, pour fuir ce néant. J'avais si peur qu'il me rattrape. Mais je l'ai rattrapé, en courant, et je l'ai absorbé. Depuis quelque temps, je sens un grand vide, au fond de moi. Je ne suis plus qu’une bulle, légère et fragile. Le moindre vent m'emporte. Je me sens éclater, à tout moment. Que restera-t-il de moi? Pas même une goute d'eau.

Je ne suis qu’un papillon, fatigué de voler. Je me laisse emporter par le vent, avec les feuilles mortes de l’automne, je tombe sur le sol... sur cet étang gelé, de feuilles jaunes, rouges et brunes... et je frissonne.

Si je devais écrire ce que je pense, il n’y aurait que des pages blanches, des feuilles mortes et figées, sous un étang gelé. Ma pensée se fige, sous la glace blanche, et je m'endors, lentement... avant de mourir.

Si j’étais une idée, je pourrais survivre. Les idées ne meurent pas. La rose meurt. Mais l'idée de la rose survit, et son nom demeure. Moi je ne suis rien, pas même un objet. Si je meurs, mon nom disparaitra, il n'aura plus de sens.

Ma vie fut une longue attente, d'un impossible bonheur. Je n'ai connu que l'attente, l'espoir déçu, et ses malheurs. Si je mourais ce soir, on m'oublierait aussitôt. Je partirais, sans laisser de traces. Aucun poème, pas de chant d'amour, ni même une plainte funèbre. Quelle vie étrange!

Est-ce ainsi que les hommes vivent,
Et leurs baisers au loin les suivent.

Louis Aragon


mercredi 3 octobre

Il y a longtemps que je n'écoute plus la télévision, ni la radio, même dans ma voiture. Je ne suis plus tellement relié à ce monde. Je vis en reclus, comme un moine. Mais j'aime le cinéma et la musique. Je loue des films, et j'achète des CD, que je regarde, ou que j'écoute, sur mon laptop. Depuis quelque temps, j'emporte toujours le même CD avec moi. Je l'écoute dans ma voiture.

André Mathieu, une partie de ses oeuvres pour piano, interprétées par Alain Lefèvre. Je n'écoute que ca, et ce ma suffit... ou presque. Son oeuvre n'est pas toute sur CD. Quel dommage! Il faudrait demander à Alain Lefèvre, à qui nous devons déjà beaucoup, de poursuivre ses enregistrements de l'oeuvre de Mathieu.

C'est un grand compositeur. Je ne dirai pas, le meilleur. Je n'aime pas les superlatifs. Et puis, j'en connais plusieurs autres, qui sont aussi les meilleurs.

J'aime la musique, et je dois dire que mon époque est bien servie. J'aurais vécu à l'époque de Bach, Beethoven, Chopin, Debussy... quelle chance! J'aurais pu les rencontrer, les écouter, leur parler.

Mais non. Je n'aurais probablement pas réussi à les approcher. Tandis qu'aujourd'hui, je peux les réveiller, au milieu de la nuit, et les forcer à jouer pour moi. C'est quand même un énorme privilège, que bien des rois et des princes n'ont pas eu avant moi.

J'aime André Mathieu, et ca me rend triste, de savoir que j'aurais pu le rencontrer. J'étais encore bien jeune, quand il est décédé. Et je ne connaissais pas beaucoup la musique. Je ne sais pas si j'aurais pleinement apprécié notre possible rencontre. Mais il est certain que je m'en serais rappelé toute ma vie.

Ce qui me désole encore plus, c'est que j'aurais voulu le connaitre, quand il était encore jeune. Je l'imagine, à quinze ans. Il me fait penser à Rimbaud et Nelligan. Il était l'un des plus grands virtuoses de son temps, et il avait déjà composé la plus grande partie de son oeuvre. Mais je ne sais pas s'il aurait accepté de parler à un autre garçon, de son âge, un garçon qui sait à peine faire une gamme, sur le clavier.

Je me prends parfois à penser que nous aurions pu être amis, et que certains soirs, il aurait joué pour moi. Mais il est mort, sans que je le connaisse, pendant que je m'émerveillais, à visiter l'Expo 67.

J'avais quinze ans, il en avait vingt-cinq de plus que moi. Dans le fond, il aurait pu être mon père. Quelle chance! Mais aussi, quel malheur, de le perdre à quinze ans. Finalement, notre amitié n'aura existé que dans le rêve.

Je l'ai découvert huit ans plus tard, pendant les Olympiques de 76, à Montréal. On avait inventé un hymne thématique, à partir de l'Allegro de son quatrième concerto. Je suppose que c'est mieux que rien, pour s'excuser de l'avoir oublié, et presqu'effacé de notre histoire, déjà si pauvre. Au moins, ca m'a permis de le découvrir.

Mais aussi, quelle idée, transformer son concerto en hymne olympique. N'est-ce pas la dernière insulte, d'une nation inculte, à son plus grand compositeur?


vendredi 5 octobre

Depuis quelque temps, ma technique pianistique s'est améliorée. Je ne croyais pas que ce fut possible, à mon âge, sinon, je m'y serais mit, bien avant. Mais je n'y croyais plus. J'ai même cessé toute pratique, pendant plus de trente ans. C'est seulement après avoir commencé le violon, que j'ai eu l'idée de reprendre le piano. Depuis, j'ai cessé le violon.

Mais pour le piano... parfois, je me dis, si j'avais eu une espèce de grand frère, un ami qui m’aurait encouragé, conseillé, aidé à suivre une discipline...

Quelle différence ca me ferait, aujourd'hui? Je serais tout aussi vieux, et probablement aussi pauvre, et jamais je ne serais devenu un pianiste de concert.  Mais je pourrais jouer Bach, Beethoven, Chopin, Debussy, Liszt, Schubert, Schuman, enfin, pas seulement pour pianoter les premières mesures de leurs partitions. Quand je vois ce que j'ai réussi à faire, depuis les quelques années où je m'y suis remis, et encore, avec les quelques heures que j'y consacre, je me dis que j'aurais pu être un bien meilleur pianiste, et pas tellement pour les autres, comme pour moi.

C'est quand même quelque chose, d'écouter Chopin ou Debussy, et de réaliser que ca vient de mon piano, de mes mains, de mes doigts...

Et si je pouvais jouer Mathieu... pas ses concertos, mais ses pièces pour piano: Été canadien, Laurentienne, ses Préludes romantiques, ses Bagatelles, Berceuses, Les mouettes, Tristesse...


dimanche 7 octobre

J'ai trouvé des photos d’André Mathieu... des photos d'enfant, assez joli, et même, d'un beau jeune homme... un peu triste. C'est facile à dire, puisque je connais un peu sa vie. Mais il me semble que ca parait aussi dans les traits... presque figés, de sa figure, et sa posture, légèrement voutée. Quand j'ai lu, dans sa correspondance, qu'il sentait un lourd poids, sur ses épaules, je l'ai reconnu, en voyant ses photos et, en fait, même sur ses photos d'enfants, au parc, ou sur la plage... on sent une certaine tristesse, chez cet enfant.

Bien sur, un enfant qui compose des concertos, à un âge où les autres n'ont pas encore commencé à jouer avec leurs petits camions, ca vous isole un peu, et même beaucoup. Il était déjà étranger aux adultes qui l'entouraient, il l'était encore plus, aux enfants qu'il aurait pu fréquenter.

Je ne parle pas souvent d'enfants prodiges, et encore moins de génies. Je trouve que c'est un qualificatif qu'on distribue beaucoup trop facilement, aux mauvaises personnes, et pour les mauvaises raisons. Dans le cas du petit André, je ne sais pas trop comment ca fonctionnait. Mais il est certain que s'il voyait, et entendait comme les autres, dans sa petite tête, ca ne se passait pas comme dans celle des autres. On dirait un adulte, dans le corps d'un enfant. On dit parfois: une vieille âme. Je le pense aussi. Une vieille âme triste. Je ne sais pas pourquoi. Il me semble que j'aurais été tellement heureux de pouvoir jouer comme lui, même sans pourvoir composer comme lui. Mais, je compare une vie que je connais à peine, avec une autre que je ne connais pas du tout.

J'ai aussi trouvé des vidéos, une ou deux, quand il était encore très jeune, où on le voit, si petit, appuyé sur le banc du piano, et jouant ses premières compositions, que je n'arrive pas encore à jouer, à mon âge. Et puis, j'ai trouvé d'autres vidéos, probablement faites, à partir d'une émission de télévision. Il devait avoir plus de trente ans... quelle tristesse! Je n'ose le dire, mais il joue si mal. Ca n'est plus de la musique, ni même de la virtuosité, mais de la vitesse, et presque arrogante, des notes erratiques, et parfois même, de fausses notes. Ca n'est même plus une démonstration de cirque. C'est navrant. Je ne peux pas croire qu'il se prêtait volontairement à ces jeux. Il devait plutôt le faire par dépit, par déception, ou par vengeance.

Je préfère écouter Alain Lefèvre. Il joue André Mathieu, comme s'il l'avait composé. Il le joue avec coeur, et même, avec générosité, car il pourrait fort bien garder ces trésors pour lui-même. Mais il nous les offre, très généreusement. Et si je pouvais lui parler, je lui demanderais de poursuivre ses enregistrements de Mathieu. Il en reste encore beaucoup qu'on ne connait pas encore. Et le temps passe... dans mon cas, il passe même très vite.


jeudi 11 octobre

J'ai revu ce garçon... en souvenirs, ou en rêves, je ne sais plus très bien. Il me semble que je traversais le parc... oui, ca me revient. Il faisait beau, une journée d'automne, comme je les aime, j'avais décidé d'aller marcher dans le parc. C'était le matin, l'air était frais, après quelques jours de pluies, je trouvais enfin, le soleil agréable, sa chaleur radiante, sa lumière forte et sèche qui donnait même trop de contraste aux ombres. En marchant, distraitement, je m'étais laissé couler, dans mes habituelles rêveries.

D'abord, je n'avais rien de bien précis en tête. Je suivais cet écureuil... occupé. Il sautait d'un arbre à l'autre, sans pourtant donner l'impression d'aller nulle part. Ma première idée, ce fut qu'il n'y a pas de chêne dans ce parc, et donc, pas de noix pour l’écureuil. Je me disais qu'il serait bien mieux au Mont Royal. J'y allais souvent, en automne, avec mes parents, et j'y allais aussi... avec ce garçon.

Ca m'a rappelé cet après-midi... C'est lui qui m'avait suggéré d'aller au Mont Royal, pour marcher, dans la montagne, dans le parc, autour du lac des castors, jusqu'au chalet, et passer un moment, à observer la ville, de haut, de loin. Ce fut notre première sortie, en amoureux. Bien sur, s'il avait fallu que je lui suggère cette idée...

Il était aussi naïf que moi. Et dans la pureté de cette enfance qui subsistait encore en lui, il se croyait avec un ami, un grand frère, un oncle, un ami d'enfance, de sa mère.

Les amis d'enfance... certains amis ne sortent jamais ensemble. Ils se rencontrent, par hasard, sur la rue, en sortant de la maison, ou alors, en flânant dans le jardin, par un bel après-midi d'automne. Les amis d'enfance ne sortent pas ensemble, ils ne se font pas la cour, ils ne tentent pas de se séduire, ils ne s'épousent pas, ils n'ont pas d'enfant ensemble. D'un autre côté, ils ne divorcent pas non plus. Ils demeurent des amis, pour la vie, même quand ils ne se voient plus. Et dix ans, vingt ans plus tard, ils se rencontrent par hasard, dans un centre commercial, ils se saluent avec chaleur, ils se demandent des nouvelles... Les amis d'enfances demeurent des amis... d'enfance.

Et ce jeune homme, c'était le fils d'une amie d’enfance. Je l'ai toujours connu. J'étais là, à sa naissance, à ses anniversaires, et le jour sacré de ses treize ans. Dieu qu'il était joli, et si gentil. Il souriait sans cesse. Je le trouvais alors, incapable de la moindre colère, ni même d'une petite tristesse. J'en aurais fait mon Ganymède.

Et puis, je l'ai perdu de vue. Il faut dire que j'ai longtemps voyagé, de l'autre côté de la terre. Et quand je suis revenu, le garçon était devenu un jeune homme... un magnifique jeune homme: grand, mince, fort, une agréable figure, toujours le même sourire charmant, et le corps d'un jeune dieu grec. C’était mon Hyacinthe. Hélas, je ne fus jamais Apollon. Comment aurais-je pu l'approcher? Ca n'était plus un enfant qu'on dépeigne affectueusement, de la main, ou qu’on prend sur ses genoux.

Je ne sais plus comment nous avons repris un contact. Il me semble que c'est lui qui m'avait demandé des nouvelles, d'un magasin de musique, ou d'une boutique de thés importés. Trop heureux d'avoir enfin l’occasion de me rapprocher de lui, je lui avais proposé de l'emmener en ville. J'avais d'ailleurs la réputation d'y passer mes journées, alors que je les passais plutôt dans les librairies, et les bibliothèques des banlieues.

Nous sommes donc allés en ville, à cette boutique de thés importés, puis à ce magasin de musique, où tout le monde me connaissait. Il aurait fallu voir leur air étonné:

- Qu'est-ce qu'il fait, avec un si beau jeune homme?

On me prêtait les activités dont on rêvait. Tandis que, même si j'en rêvais aussi, je n'aurais jamais osé dépasser les frontières du rêve. Mais par la suite, sans le préciser, sans dire un mot, nous sommes devenus amis.

Nous sortions ensemble, presque tous les jours, au restaurant, au cinéma, au concert. Il aimait la musique et la lecture. Et il aimait aussi, aller marcher dans le Village. Moi aussi, d'ailleurs. Avant, je n'y allais jamais. Mais désormais, aux côtés d'un magnifique jeune homme, ca n'est plus lui, qu'on regardait, mais le vieux type qui l'accompagnait. Et puis, je le sentais bien, on me jalousait. Ca me faisait un petit velours. À certaines terrasses où j'allais parfois, et où on m'ignorait totalement, on me servait désormais, comme un prince, rien que pour le petit bonheur de venir sourire, au joli garçon qui m'accompagnait. Un jour, en bavardant, un de mes amis laissa tomber:

- Vous deux, vous êtes ensemble...
- Quoi? Qu'est-ce que tu dis?

J'ai toujours été si naïf, et même si j'étais amoureux, de ce garçon, je ne l'avais pas encore réalisé.

- Ben quoi, vous êtes toujours ensemble, et puis, tu devrais voir les yeux qu'il te fait...

Il me semble en effet que le garçon m'aimait bien, comme on aime un ami, un grand frère, un oncle. Mais je n'ai jamais cru qu'il aurait pu m'aimer... comme mon ami l'avait supposé. Et puis, cet ami m'avait un jour demandé:

- Au moins, est-ce qu'il est gay?

Quelle question! Est-ce qu'on demande ca, à un jeune homme? Un jour, c'est pourtant ce qu'il m'a avoué.

- Tu sais, je crois que j'aime les garçons... tu comprends? Je veux dire, je pense que je les aime, comme on devrait plutôt aimer les filles.

Il me semble que ce fut notre dernière conversation, et aussi, notre dernière rencontre. Après, je ne me rappelle plus. Et puis, je ne l'ai plus revu. Mais, par une amie qui le voyait encore, j'ai appris qu'il était parti aux États-Unis, avec un autre jeune homme, et sans doute, pour y faire la vie que je n'ai jamais osé faire... celle que j'aurais pu avoir, mais que j’ai plutôt rêvée.


samedi 13 octobre

Quand j'écoute Bach, sa première sonate pour violon, j'ai l'impression de me trouver dans le salon d’une grande maison, par un dimanche après-midi de février, quand dehors, tout est clame et blanc. Il neige encore, on ne voit plus les maisons, de l'autre côté de la rue.

Dans le salon, il y a des livres, sur tous les murs, et devant les bibliothèques, des divans, des fauteuils et des tables, encore pleines de livres. Le sol est recouvert d'un épais tapis rouge, tissé de motifs, d’arabesques. Un verre de vin m'attend, sur la table... dans une autre pièce, un orchestre de chambre joue l'Adagio de la première sonate pour violon, de Bach.

Et moi, je suis endormi, dans un fauteuil. J'ai cessé ma lecture. Mon livre a glissé, sur mes genoux. Mes lunettes sont tombées, et mon regard s'est perdu, sur les milliers de livres flous, comme ma pensée. Il me semble que le temps s'est arrêté.

Dehors, les flocons de neige se sont figés dans l'air humide, comme dans ces boules de cristal, qu’on renverse, qu’on agite.

J'écoute les dernières notes de l'Adagio. Que c’est beau! S'il pouvait durer... à jamais. Sinon, je voudrais bien m'endormir, et ne plus jamais m'éveiller.

Ca n'est pas que je sois triste, bien au contraire. Mais, après avoir écouté Bach, que puis-je attendre d'autre, de la vie? J'en ai gouté toutes les saveurs, et je devine les autres, vraiment, je n'ai plus rien à faire ici.

Mais, nous sommes en octobre, le soleil est caché par d'épais nuages. Il pleut, depuis l'aube, il pleuvra, toute la nuit, et je suis seul, dans ma chambre, étendu sur mon lit, seul... avec Bach.


lundi 15 octobre

Quand on est jeune, tout ce qu'on voit est nouveau, tout ce qu'on découvre est beau. Notre maison de Saint Bruno était un petit château, loin de la ville, presqu'au milieu d'un champ que je croyais alors sans fin. Il n'y avait personne, pas de voisin, nous étions seuls. Mais il n'y avait aucun danger, aucun risque. Ma mère me laissait m'éloigner, dans le champ, jusqu'à ce que je voie notre maison, toute petite. Et là, seul, assis au milieu des herbes hautes, je passais de longs moments, à rêver, comme si j’avais lu un livre.

Rêver, c'est bien ce que j'ai fait, toute ma vie. Ce fut ma seule réalité. Et tout ce qui était peut-être plus réel que mes rêves, m'apparaissait plutôt, comme un rêve. Est-ce une maladie, une folie? En tout cas, c'en fut une, bien heureuse. Car je n'ai vue de la vie, que les beautés que j'imaginais.

Par exemple cette maison de Saint Bruno, je l'ai revue, quelques années plus tard, quand je n'étais plus un enfant. Eh bien, cette maison, c'était une horreur. Et même en l'imaginant, avec quelques années en moins, elle était toujours aussi laide, et carrément perdue, au milieu d'un champ de broussailles, et de mauvaises herbes. Je me demandai alors, comment j'avais pu la trouver si belle, et même en faire un château de rêve. Mais j'imagine que c'est l'une des grâces de l'enfance, de voir plus joli, ce qui en fait n'est que laideur.

Sans doute, la douce naïveté de l'enfance est une maladie, une folie qui passe, en vieillissant. Mais si on veut, on ne guérit pas tout à fait, de cette maladie heureuse de l'enfance.

Ainsi, il me semble que j’ai vécu à l’époque de Marcel Proust, et sans doute, je fus son invisible compagnon de jeunesse. Quand je lis son récit, quand je me lance aussi, à la recherche du temps perdu, je me revois, avec lui, dans ce petit parc qui n’existait que par la magie de l’enfance, où il allait lire son livre préféré. Et maintenant que j’y pense, combien de matins nous y avons passé, tranquillement cachés, à lire ces livres que je ne sais plus.

Marcel était un compagnon doux et discret. Il souriait doucement, quand les autres riaient aux éclats. On ne savait pas toujours ce qu’il pensait. Moi, je le devinais, parfois. Mais il ne fallait pas le dire, à personne. Quoi qu’il le disait un peu, dans son récit.

Car il faut bien dire que je ne l’ai pas connu, comme les autres. Je ne l’ai jamais vraiment fréquenté, autrement, ni ailleurs que dans son récit: À la recherche du temps perdu, que je n’ai d’ailleurs, pas encore lu.

Hélas, tout ce que je sais de lui, je l’ai appris, en tenant son précieux livre, entre mes mains. La chose paraîtra, bien sur, tout à fait impossible, à ceux dont c’est la nature d’être continuellement éveillés. Mais pour ceux qui, comme moi, rêvent aussi bien le jour que la nuit, rien n’est plus ordinaire que de lire un livre, et parfois même, sans l’ouvrir, rien qu’en le tenant entre ses mains.


mercredi 17 octobre

Ce matin, je parlais avec ma logeuse, dans la hall d'entrée de notre édifice, quand une jeune dame est arrivée avec son fils, un magnifique jeune homme, grand, mince, blond et pale, comme je les aime, et ce regard perdu, ou rêveur, qui me chavire le coeur. En passant près de moi, il a baissé les yeux. J'ai cru qu'il est timide. Quelques instants plus tard, il a repassé devant moi, avec sa mère, et cette fois, il a salué la logeuse. Mais il a encore esquivé mon regard, en baissant la tête.

Ca m'a rappelé la timidité de la princesse Diana, enfin, étrange, pour une jeune femme qu'on croirait habituée aux mondanités. Mais, un garçon ordinaire, je me demande bien ce qui le rend si timide. Les garçons de son âge sont souvent plus audacieux. Ils sont parfois même, téméraires.

Plus tard, je l'ai rencontré, dans le village. Je l'ai suivi, un moment, discrètement. Il aurait pu m'apercevoir, me reconnaitre. Je l'ai suivi, de loin. Mais parfois, je le voyais s'arrêter, et se retourner, doucement, un peu comme le jeune Tadzio, dans Mort à Venise. Et il avait ce sourire, presque moqueur, comme pour dire: et alors, tu me suis encore?

Un peu plus et je me prenais pour Gustav Aschenbach. Après tout, je suis un peu musicien, comme dans le film, et un peu écrivain, comme dans le livre, autrement, je ne suis plus grand chose, comme dans la vie. Et puis, d'une pensée à l'autre, le garçon est disparu, au coin d'une rue. Dans mon petit village, on se perd aussi bien que dans Venise. Alors, je suis retourné au Lido, enfin, chez moi.

Au moins, je sais qu’il habite notre édifice. J’aurais peut-être l’occasion de le revoir, en sortant, en rentrant, une coïncidence, un hasard, et alors, avec le temps, j'aurai peut-être droit à un petit sourire. Mais combien de temps encore, combien de ses rencontres fortuites, avant que nous puissions échanger quelques mots, des banalités, des bêtises, n'importe quoi, qui nous mène un jour, à un petit baiser sur la joue...

Hélas, ce sera trop long, je n‘y serai plus, et puis, je ne rencontre jamais personne, sauf ma logeuse, et encore, une fois par mois.


vendredi 19 octobre

Ce soir, si je suis triste, ca n'est pas sans raison. J'écoutais: Petite mère, d'Alain Lefèvre. Mais ca n'est pas à ma mère que je pensais. En fait, je ne pensais à rien, ni à personne, sauf peut-être, à ma vie... qui s'achève, comme un joyeux tour de manège qu'on a envie de refaire. Mais le manège s'arrête, toujours trop tôt, et il faut descendre, et laisser la place aux autres.

Pourquoi m'a-t-on laissé ouvrir les yeux, sur cet univers, infini. Pourquoi m'a-t-on permis de lever son voile, de découvrir ses beautés, et d'en espérer, les plus étranges merveilles? Et pourquoi dois-je le quitter, au moment où je commençais à l’aimer?

Au moment de mourir, ca n'est pas à ma mère que je pense, ni même à ces quelques rares amants que j'ai pourtant aimés, plus que ma vie... Je pense à cette vie qui me fuit, et au temps qui s'écoule, entre mes doigts, comme les sous, dans la main d'un pauvre. Si je pouvais le retenir, encore un moment... si je savais, comment arrêter le temps.

Ce soir, Méphisto jouait pour moi, cet air de Lefèvre... Il me faisait rêver et, comme le vieux Faust, j'ai pensé:

- O reste encore, instant, tu es si beau.

Mais c'est pour rien qu'on souhaite d'arrêter le temps, puisque le bonheur nous vient du temps qui s'écoule, et que la vie nous est précieuse, parce qu'elle ne dure pas. Et puis, souhaiter d'arrêter le temps, et ses heures propices, c'est bien suffisant, pour rompre le pacte, éveiller Méphisto... depuis un moment, je l'entends, me répéter, en riant:

- viens, je t'attends.


lundi 29 octobre

Quelle drôle d'idée, de tenir un journal! Je croyais que ca serait plus simple, plus facile, écrire... tous les jours, et même, une fois la semaine. Mais je n'y arrive pas. Il me semble pourtant que j'ai encore des choses à dire, à raconter, et ca n'est pas les mots qui me manquent. Ce sont plutôt les idées... qui ne viennent plus. Et puis, pour ce que j'ai à dire, pour ceux qui viennent le lire, et même pour moi, je ne suis plus certain d'avoir envie de me lire, alors...

Ce soir, le vent est si fort, presque violent. Je l'entends claquer les fenêtres, siffler dans la tuyauterie. Dehors, il se passe quelque chose. On attend une tempête... historique. On en parle, comme si c'était la première, ou la dernière. Comme d'habitude, on s'amuse à faire peur aux gens.

Je suis sorti, un moment, sur ma terrasse, pour voir un peu, ce qui se passe. Mon jardin suspendu semble tenir le coup. J'ai quand même rentré mon basilic, et mon arrosoir. Ca m'évitera d'aller les ramasser demain, sur le balcon du premier si, bien sur, ca n'est pas la fin du monde, cette nuit. De toute façon, on nous l'a promis, avant la fin de l'année. Quelle chance! On m'avait aussi promis, un an de plus. On dirait bien que je me suis fait avoir, encore une fois.

De toute façon, je ne sais plus très bien, ce que je fais ici. Vivre, sans but, sans raison... vivre, rien que pour manger et dormir, quelle drôle d'idée.

Et pourtant, quand j’écoute l’adagio de l’Opus 73 de Beethoven, il me semble qu‘il n’y a plus rien à dire, plus rien à écrire. Et l’adagietto de la cinquième symphonie de Mahler, quelle merveille... Que peut-on ajouter à ca?

Tous ces hommes, qui ont vécus, pour la musique, on les écoute encore, on les entend, et moi, est-ce qu’on me lira encore, dans cent ans? C’est à peine si on me lit, maintenant. Les mots, même jolis, les phrases, les jolies phrases, ca fait parfois une musique. J’aurais du travailler plus fort, et devenir musicien. Je n’aurais rien écris, ni les mots, ni la musique. Mais j’aurais joué Bach, Beethoven, Debussy, Chopin et Liszt. J’aurais joué Ravel et Fauré. Même courte, même pauvre, ma vie aurait été remplie et riche, de toute cette musique, au lieu de la passer à pleurer des mots et des phrases qui ne veulent plus rien dire.

Tient! On n'entend plus claquer les fenêtres, la tuyauterie ne siffle plus. On dirait bien que la tempête... Tant pis! Aussi bien en profiter, pour aller dormir.


mardi 30 octobre

Ce matin, il faisait encore si noir, j'ai failli ne pas me lever. Je me disais, à quoi bon, si c'est la fin du monde... Puis le soleil a paru. Finalement, la fin du monde, ce sera pour une autre fois... la mienne aussi.

Et puis, il faisait si beau, en traversant mon village, je me suis laissé prendre, à le trouver joli. Ces vieilles maisons, presque complètement cachées par les arbres, ces vieilles églises qu’on ne fréquente plus, mais qui donnent encore un certain charme, au village. Un peu plus, et j’allais marcher sur la grand rue, rencontrer les gens, les saluer, et leur parler du temps qu‘il fait:

- Finalement, cette fameuse tempête...

Enfin, ca ou autres choses. De toute façon, on ne demande jamais rien de bien compliqué, à des inconnus. On leur parle, pour se sentir civilisé, au dessus de ses affaires, alors que, la plupart du temps, on ne sait même plus où on en est. D’un autre côté, tout ces gens que je rencontre, ils me semblent si pressés, on dirait qu’ils savent où ils vont, et qu’ils n’ont pas encore perdu le contrôle de leur vie, ou alors, ils donnent le change, comme moi.

- Bonjours Madame, vous allez bien?
- Ah bonjour monsieur... quelle belle journée!
- En effet, on nous avait pourtant annoncé de la pluie...
- Non, je ne crois pas. Sinon, ca sera pour demain.

Et voilà. En quelques phrases, nous venons de régler le sort de l’humanité. Ca semble naïf. Mais mon expérience me permet d‘affirmer que j’aurais pu avoir la même conversation, avec n’importe qui sauf, avec un enfant.

Les enfants ne se soucient pas du temps qu’il fait, ou qu’il fera peut-être sauf, si ca peut les empêcher d‘aller jouer avec leurs copains. Ils ne se soucient pas, non plus, de régler le sort de l’humanité. Ils abandonnent cette triste tache, à ceux qui sont devenus des messieurs très sérieux.

Hier, un petit garçon qui me voyait parler... à mon cellulaire, s’est carrément planté devant moi, et a patiemment attendu que j’aie terminé, pour enfin me demander:

- C’est le iPhone IV ou V?
- C’est un Androïd...
- Et la mémoire?
- Je ne suis pas certain, peut-être 64 GB.
- C'est pas mal. Je préfère quand même le iPhone.

Puis, le garçon est parti, rejoindre sa jolie maman qui l‘attendait, dans sa jolie Audi. Heureusement, l’une ne va pas sans l‘autre, du moins, très rarement. Les vieilles dames vont plutôt en Mercedes, une classe de voiture qui camouffle mieux les rides, et puis, on la garde plus longtemps. Il parait que les vieilles voitures ont plus de charme. Ce qui permet de faire le rapprochement... avec leur conductrice.

Moi, je préfère quand même les Audi et, tant qu’à faire, les garçons aussi. Mais, un peu plus vieux que ceux qui roulent encore, avec leur jolie maman.


mercredi 31 octobre

Ce soir, des milliers de petits lutins sont sortis de nos rêves anciens. Ils ne savent pas ce qu’ils sont, ni ce qu'ils fêtent. On leur a simplement dit: habilles-toi, et vas hanter les rues, à la rechercher des friandises... que tu ne pourras pas manger, de toute façon, puisque le sucre est mauvais pour tes dents, et même les fruits, surtout les pommes, enfin, il faut s'en méfier, et ca n'est pas tellement à cause de cette histoire de la belle au bois dormant... d'ailleurs, il faut se méfier de tous les adultes qui offrent de friandises. C'était dans les journaux, ce matin: il y a un pédophile près de chez vous.

Comme c'est étrange! Il n'y a pas si longtemps, on disait aussi qu'il y a une pharmacie, près de chez moi, et que je pourrais y trouver de tout... même un ami.

Je savais bien qu'il faut se méfier de la publicité. Heureusement, je ne suis plus un enfant. Je suppose donc que je n'ai plus rien à craindre. Personne ne me suivra, sur la rue, aucun étranger ne tentera de m'aborder, pour m'offrir des friandises, m'attirer dans sa voiture, ou chez lui. Bien sur, on essaie encore de m'abuser, presque tous les jours. Mais il y a bien longtemps qu'on n'essai plus de me séduire. Il y a très peu de gérontophiles... même près de chez moi.


jeudi 1 novembre

Deux ans, peut-être trois...

Au début, ca me paraissait presque long. Mais, comme le temps passe, surtout, depuis que je le vois passer. La première année est presque terminée. Il me reste donc un an, peut-être deux, et encore... De toutes façons, je ne suis plus tellement certain pour la deuxième, plus certain qu'on me l'accorde, ni même de la désirer.

Je me lasse de tout, même du peu de temps qu'il me reste. D'abord, plus je m'approche de l'échéance, et moins mes projets ont d'importances. Je me dis: à quoi bon... Et puis, sans vraiment souffrir plus qu'avant, et malgré l'apparent confort dans lequel je vis encore, j'ai quand même moins de plaisir à vivre, et plus du tout à dormir. Je ne vais quand même pas briser mon contrat. On m'en accuserait. On m'en demanderait réparations, comme si ca pouvait ajouter à ma peine.

Je sens une épée, au dessus de ma tête. Ca empoisonne le temps qu'il me reste. Ca n'est pourtant pas que je m'attache aux choses éphémères. Après tout, est-il quoi que ce soit, de plus durable que la mort? Il faudrait quand même que je m'en détache... de ca, et de bien d'autres choses.

Pour bien vivre, il ne faut pas craindre la mort. Bien sur, quand on est jeune, on ne la craint pas, on y croit à peine. Mais à mon âge, et dans ma condition, on sait bien qu'elle viendra bientôt. Comment alors peut-on s'en détacher?

Depuis quelque temps, c'est même elle, qui s'attache à moi. Elle me suit, comme une ombre, et bientôt, elle sera mon ombre. Encore un peu de temps, et je serai la sienne.


samedi 3 novembre

Ce matin, il n'était pas encore bien tard, et j'étais déjà fatigué... de la vie, de la mienne, enfin, de tout. J'ai bien failli me résoudre à tout résoudre, aujourd'hui.

Ca n'est ni la maladie, ni l'idée de la mort, qui m'épuise. Mais l'incertitude du temps qu'il me reste. J'ai l'impression d'attendre un train qui est déjà parti, ou qui ne viendra plus. Peut-être que je suis déjà mort, et que cette longue attente est le purgatoire dont on nous parlait. Certains jours, ce serait plutôt l'enfer. Je ne sais pas trop la différence. Mais si je pouvais me libérer de cette attente... Je me prends parfois à souhaiter l'ignorance, la folie, ou l'inconscience. Et puis, je me dis que je suis peut-être déjà fou.

Il me reste encore un peu de temps. Mais ca ne sert plus à rien. Je n'ose plus rien entreprendre, ni rien commencer, comme si j'étais déjà mort. Ma vie n'est plus qu'une longue et lente agonie, qui commence par la mort de l'âme et de l'esprit, et plus tard, celle de la conscience et du corps.

La mort, c'est la naissance à l'envers. On nous sort d'un trou, pour nous fourrer dans un autre. Entre temps, on se demande parfois d'où on vient? Où on va? Qu'est-ce qu'on fait ici? Qu'est-ce qu'on fera, là bas? On n'en sait rien, et puis, est-ce bien utile de le savoir? On vient, et on va quand même. Et puis, la plupart ne se posent jamais ce genre de questions. Certains oublient qu'ils vont mourir. D'autres ne semblent pas savoir qu'ils vivent.

On nous disait qu'après la vie, on serait récompensé, ou puni. Mais si la vie est déjà une punition, quelle autre punition nous attend donc? Quant à la récompense, rien que de lever la punition de la vie, c'est déjà une récompense. Et c'est bien ce qui me retient encore ici. Il ne faut peut-être pas réclamer cette récompense trop tôt, sinon, il y a peut-être une autre punition qui nous attend, une autre vie, dans ce monde. On ne s'évade pas si facilement, du cycle des renaissances.

Aujourd'hui, j'ai bien failli mettre un terme à tout ca. Mais, au dernier moment, je n'ai plus osé. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être que ca n'est pas encore le temps. Peut-être que je ne suis pas prêt, ou que je ne l'ai pas vraiment décidé. Le plus difficile, c'est de prendre la décision. Ensuite, quand et comment, ca vient tout seul. Mourir, ca n'est pas si difficile. Vivre, ca l'est beaucoup plus.


lundi 5 novembre

Ouvrir une page blanche, en sachant qu'on n'a rien à y écrire, voilà bien le comble de l'arrogance, même quand on a la prétention d'avoir la phrase facile, les mots qui vous tombent du ciel, enfin, le concours des Muses, si on veut bien croire au moins à ca.

Je pense que c'est avant tout, une manière de compulsion. Il faut que j'écrive, même quand je n'ai rien à dire, ou que je n'ai pas encore trouvé le moyen de le dire. Je sais que je me sens toujours mieux, après avoir rempli quelques pages... désolantes, que j'effacerai, presqu'aussitôt. Alors, je prends la chance de les remplir... de n'importe quoi, en espérant que les Muses finiront par me prendre en pitié, où que les dieux voudront bien me payer un effort naïf, ou un échec... méritoire.

Mais je ne sens encore rien de tout ca, ni le réconfort des Muses, ni la compassion des dieux.

La folie, c'est bien le châtiment que les Muses réservent aux poètes arrogants. Et pourtant, plusieurs poètes ont cherché, dans l'absinthe, la douce folie que les Muses leur refusaient. La fée verte est-elle la Muse du poète abandonné?

Hélas, je n'ai qu'un petit vin de Provence, et des souvenirs qui ne sont pas les miens, des déserts de garrigue, Aubagne, la Treille, les Bellons, et ces magnifiques collines: le Taoumé, Tête Ronde et Garlaban.

Je suis comme ce correcteur du Petit Marseillais, dans les souvenirs d'enfance de Marcel Pagnol. Il s'était donné un nom de guerre, un nom de seigneur, pour habiter un château de hiboux et de chouettes, et il buvait de l'absinthe, avant d'écrire des vers dérisoires, avec des rimes... ingrates.

Au moins, dans son rêve, il était un poète, tandis que, dans le mien, je ne suis toujours que moi... triste réalité.


mercredi 7 novembre

J'écris en secret, elles ne savent pas, elles sont parties... Les Muses m'ont abandonné, si elles s'imaginent que je vais les attendre... attendre leur bon plaisir. Même ma chère Érato me délaisse. Elle ne vient plus me chanter à l'oreille, ces rêves d'amour... Sans doute, elle est allée rejoindre un autre amant... plus jeune. Si au moins c'était pour lui parler de moi.

Mais je ne compte plus. Depuis longtemps, j'ai dépassé le seuil de la solitude. Je ne suis plus seul, j'ai cessé d'exister. Je suis devenu l'un de ces fantômes qui hantent les rues, sans but, sans raison. Une ombre informe, et sans nom, comme un coup de balais, sur les feuilles mortes. Quand on me rencontre, on referme le manteau, on resserre le col, on frissonne, et on presse le pas, en pensant à autres choses.

Je suis de ces ombres qu'on fuit, sans trop savoir pourquoi. Peut-être, parce que je suis si près de la mort, et de l'oublie.


dimanche 11 novembre

Sous une pile de livres, j'ai retrouvé une vieille photo, le genre qu'on faisait, à la fin de l'année scolaire: une trentaine de garçons, debout, en rangs, regardant fixement l'objectif de la caméra. Sans doute, on leur a dit qu'un petit oiseau allait en sortir. Mais à cet âge, plus personne ne le croyait.

L'un des garçons me regarde avec curiosité. Il ne semble pas me reconnaitre. Mais moi, je sais bien qui il est. C'est moi, à douze ans, à la fin de l'année scolaire. Mais j'étais déjà si rêveur. Aurais-je pu reconnaitre, ce que je serais, presque cinquante ans plus tard?

C'est beaucoup demander à un enfant, même à un adulte. J'ai peine à me reconnaitre, sur cette photo, où j’avais douze ans. J'ai l'air doux et gentil. On dirait un ange. Et pourtant, si on savait les idées qui me poursuivaient alors, aussi bien le jour que la nuit. Si on l'avait su, à l'époque, on aurait dit que j'étais un bien vilain garçon. Si on le savait, aujourd'hui, on dirait que je suis malade, fou ou criminel. Et pourtant, je suis le même garçon, avec les mêmes idées. Où est donc passée cette pureté d'enfant qu'on me supposait? On se trompait bien, alors. Peut-être qu'on se trompe encore... Mais il parait qu’on ne se trompe jamais. On sait tout, des autres, et si peu, de sois.


mardi 13 novembre

J'ai revu ce garçon, celui que je voyais si souvent, cet été, au parc, au village, ce garçon dont je ne sais jamais, s'il est vrai ou imaginaire... un ami imaginaire, à mon âge...

Je l'ai vu, ou aperçu, cet après-midi, en sortant du garage. Je sais bien que c'était lui. Je l'aurais reconnu, même s'il avait changé. Aujourd'hui, il était beau et joli comme une fille: grand, mince, pale et blond... de long cheveux blonds qui flottaient au vent. Il marchait, sur la rue, il se rendait au collège. À un moment, son regard distrait à rencontré le mien, et j'ai vu ce sourire, qu'il destinait sans doute à un autre... à une autre. Mais pendant un moment, ce sourire ne fut que pour moi, et je l'ai emporté, conservé et caché... sur mon coeur, toute la journée, comme un souvenir précieux, en vérifiant, à tout moment, s'il était encore là. Mais le jour achève, et son sourire s'estompe, il n'en reste plus que des miettes, et un parfum léger, comme la bise d'un papillon sur ma joue.

Ce garçon apparait et disparait, sans avertir. Mais il me laisse toujours son mystérieux sourire. Ca me rappelle un conte de mon enfance: j’ai déjà vu un garçon sans sourire, mais jamais un sourire sans garçon. Bien sur, à l’époque, le sourire, c‘était celui du chat de Cheshire, le chat d‘Alice.

Finalement, ce fut une belle journée: froide, ensoleillée, et pleine de douceurs.


samedi 17 novembre

En recevant une décoration militaire, des mains de Napoléon Bonaparte, le célèbre Antoine Charles Louis Collinet, comte de Lasalle, aurait déclaré: tout hussard qui n’est pas mort à trente ans est un jean-foutre. Le mot m'est resté en mémoire, et sans trop le comprendre, j'ai cru qu'on pourrait aussi l'appliquer à certains poètes, comme Rimbaud et Nelligan, qui n’ont rien écrit après vingt ans, et à plusieurs autres aussi, qui auraient pu cesser d’écrire... bien avant.

Je ne fais pas de vers, et je n'ai rien écrit, avant trente ans. Je n'ai peut-être même pas le droit, au statu de jean-foutre. Et puis, j'ai désormais plus de soixante ans. Ou bien les Muses ont oublié de me rappeler, ou bien elles ont trouvé que ca n'était plus la peine. Après tout, que ferais-je de mieux, que le mal et le médiocre que je n'ai pas encore achevé?


lundi 19 novembre

Presque tous les jours, je rencontre le même groupe d'amis, et presque toujours, aux mêmes endroits. Nous nous suivons depuis des années, comme une communauté... de vieux garçons. Nous parlons de tout, et plus souvent de rien. Bien sur, nous évitons de parler de la température, c'est déjà ca. Mais nous parlons parfois de philosophie, rarement de politique, jamais de sports. Il y a des choses qu'on pense, sans les dire, d'autres qu'on dit, sans les faires, et d'autres qu'on fait parfois, sans les penser, ni les dire.

Certains sujets reviennent plus souvent, d'autres disparaissent à jamais. Je ne dirai pas qu'il y a une évolution, même lente, mais une espèce d'adaptation, en tout cas, un certain changement, et pas toujours approprié, sans forcément être tout à fait impertinent.

Par exemple, quand nous étions jeunes, et bien avant d'en avoir l'âge, nous parlions déjà des filles, sans jamais les fréquenter. Plus tard, quand ce fut le temps de parler des filles, nous parlions des voitures que nous n'avions pas les moyens d'acheter. Et maintenant que nous sommes vieux, et que le temps ne semble plus propice qu'aux voitures, nous parlons des ces garçons qui nous ignorent. Finalement, nous pourrions tout aussi bien parler de la température, à la quelle nous ne pouvons rien changer, des sports que nous ne pouvons plus pratiquer, plutôt que des garçons que nous n'osons plus fréquenter.

Les anciens Grecs croyaient que les dieux de l'Olympe descendaient parfois sur terre, pour nous observer et nous jouer des tours, à leur façon. Je ne sais pas s'il y a un fond de vérité, dans ces vieilles légendes. Mais depuis quelque temps, il me semble entendre d'étranges ricanements.


vendredi 23 novembre

Cet après-midi, j'ai rencontré le jeune Charles de Batz, qu'on connait probablement sous son célèbre nom de guerre: d'Artagnan. Il est beaucoup moins gascon que je l'aurais cru. Je lui trouve même un petit air normand, ou alsacien. Mais il est encore très jeune, peut-être dix-huit ans. Je suppose donc qu'il n'a pas encore quitté sa Gascogne, pour aller chercher fortune et gloire, à La Rochelle, ou à Paris. Il demeure encore chez son vieux père. Quand on à dix-huit ans, tous les autres hommes sont déjà vieux. Et puisque son père est encore un jeune homme, je suis donc un ancêtre. Quel dommage! Si au moins j'étais capitaine des mousquetaires. Mais j'ai bien peur que le jeune homme me confonde avec le cardinal Richelieu.

Hélas, mon jeune d'Artagnan vit à une époque où on pense sérieusement avoir résolu tous les mystères. Quelles aventures peut-il encore espérer de la vie? S’il accepte de se fondre au moule qu’on lui a préparé, sa carrière est déjà toute tracée. Avant même d’avoir reçu son premier diplôme, on lui dira pour quelle firme internationale il ira travailler, sans qu’il ait jamais à quitter son petit meublé de la rue St-Hubert. Il fera toute sa carrière sur son portable. Ses promotions sont déjà arrêtées, ses salaires, ses jours de vacances sont calculés, ses billets d‘avions et ses chambres d’hôtels sont réservées. Il n’y manque que la maison de retraite, où il ira finir ses tristes jours. La construction en est retardée. Le terrain n’est pas encore décontaminé, et puis, on ne sait pas s’il prendra sa retraite avant soixante-dix ans, ou s’il la prendra jamais. Tout le reste est prévu et noté. Il ne lui reste qu’à sortir du moule au bon moment.

Bien sur, ca suppose que rien, ni personne, ne viendra brusquer les choses. Le moindre contre temps, et le soufflé risque de ne pas lever, ou de se dégonfler aussitôt.

Mais c‘est peut-être aussi, ce qui permettra de sauver notre d‘Artagnan. Après tout, je ne suis pas certain qu’il rêve de cette vie toute préparée, à laquelle il ne reste qu’à ajouter de l’eau. Ce matin, il m’a donné l’impression d‘un jeune Gascon qui se prépare à courir l’aventure, sur sa vieille jument béarnaise. On dirait bien qu’il est déjà sorti de son moule. En fait, je le sais bien, il n’y était jamais entré. Quelle chance! Voilà peut-être ce qui le sauve.


jeudi 29 novembre

Depuis quelques temps, il fait plus frais, plus froid. Je ne vais plus au parc, je marche moins souvent sur la rue, presque plus. Je vois moins les gens, surtout les enfants. Il y en a déjà très peu, dans un village de vieux.

Mais aujourd'hui, j'en ai vu un, treize ans, pas plus, pas très grand, et pourtant, adolescent. Son regard avait quelque chose... qui n’est plus de l’enfance. Et puis, on voyait bien qu'il a commencé à grandir. Les mains et les pieds, ne sont plus ceux d'un enfant. Il a les jambes fortes d'un adolescent plus âgé. Certains auraient dit: ca lui donne un air pataud. Mais Alban de Bricoule, aurait répondu: ...il a les jambes des jeunes romains. Et puis, c'est peut-être un danseur.

La croissance des garçons leur cause parfois quelques disgrâces... que je trouve toujours gracieuses. Le nez, les mains et les pieds poussent en premier. Les jambes grandissent avant le reste du corps, parfois, les fesses et les cuisses se développent avant le torse et les épaules, et la taille n'est pas encore bien marquée, comme si la nature voulait nous prévenir: il grandit, mais c'est encore un enfant.

Et cet enfant, celui que j'ai vu au café, en compagnie de ses soeurs, je l'ai vu, à sa façon de marcher, de se tenir, de parler, avec un accent, exagéré, des hésitations, légèrement artificielles, et des insistances... tout en faisant de grands gestes, avec les mains qui volent, comme des papillons, et une espèce de féminité que même ses soeurs n'avaient pas, ce garçon, je l'ai bien vu, ca n'est pas un garçon ordinaire, et je pense même qu'il le sait. Plusieurs fois, en buvant son café, à petites gorgées, il s'est lentement retourné vers moi, et il m'observait, avec insistance, avec impudence, même, comme pour me dire: et alors, tu ne sais pas encore qui je suis? Et lui, est-ce qu’il le sait, déjà?

Bien sur, je le savais. Je l'ai su, dès que je l'ai vu entrer au café, et se diriger vers une table. Je l'ai su, à sa façon de s'asseoir, en tournant la tête, par dessus son épaule... pour surprendre mon regard. Entre nous, il est des signes qui ne mentent pas. Les garçons ordinaires ne voient pas ces choses là. Mais il suffit parfois d'un regard, même furtif, et on se dit: ...et alors, toi aussi?

Pour un jeune garçon, c'est probablement étonnant, de découvrir le regard d'un vieil homme. Je me rappelle qu'à son âge, je croyais être le seul de ma classe, à aimer les garçons, et probablement, le seul, sur toute la planète. Et si j'avais surpris le regard d'un homme... plus vieux, j'aurais probablement rougit de confusion, et baissé la tête, tellement j'étais ignorant de ces choses, et à la fois, si naïf, et persuadé qu'il n'y avait pas d'autres garçons de ma race, et certainement pas de plus vieux. Mais, pour un garçon plus vieux, assister à l'éveil d'un garçon... ca provoque une grande émotion.

Quand j'étais encore jeune, j'ai souvent regretté ma condition, mon état. J'ai longtemps pleuré et prié, pour qu'on me transforme... en un véritable petit garçon. Mais ces prières, on sait bien ce que ca vaut. Et puis, la peine s'achève, le chagrin se tarit, et on fini par découvrir le petit prince, et la fleur du petit prince, celle qui s'ouvre, pour la première fois, pour le premier matin. Ce sont des choses que les garçons ordinaires ne connaissent pas, des choses qu'ils ne peuvent pas imaginer, même en comparant leurs amours avec les nôtres... et comment le pourraient-ils?

Si j'avais pu lui parler, si j'avais osé l'approcher, je lui aurais dit: ne craint rien, tu es choisi et béni, entre tous les anges. Je sais, ca fait un peu cliché. Mais nous manquons parfois de mots, pour expliquer nos sentiments, nos émotions, nos amours. Dans notre monde, ces choses... qu'il ne faut pas savoir, elles s'expriment plus souvent dans le silence des regards.

Bien sur, il ne connaitra pas la vie facile des garçons ordinaires et, certainement, il ne connaitra pas non plus leurs amours routiniers, ni leur lassitudes amoureuses. Et ils seront tous jaloux de lui, de ses amours, de ses amants, sans jamais trouver les mots pour le dire, autrement qu'avec des insultes méprisantes.

Mais, que savent-ils de l'amour. Par instinct, pas habitude, ils en imitent les gestes, les mouvements et les rythmes, sans jamais se demander pourquoi, ni comment. Tandis que nous, il nous faut toujours tout questionner, tout inventer, réinventer... et tout cacher. Depuis quelque temps, on veut bien tolérer ces étranges garçons, mais pas leurs amours.

Et pourtant, s'ils savaient que pour nous, les garçons ordinaires ne sont souvent que des bêtes à forme humaine. Certainement, l'image leur déplait. Mais ils ne savent pas nous prouver le contraire, autrement que par le mépris et la violence. Voilà toute l'étendue de leur humanité. Ils parlent d'amour et de paix, dans leurs poèmes, leurs chansons, leurs histoires et leurs films. Mais ils craignent et détestent ceux qu'ils trouvent différents, et ils leur font la guerre.

Bien sur, dans un monde où les soldats armés sont les gardiens de la paix... on peut bien parler d'amour à ceux qui ignorent même l'amitié. C'est sans doute pour eux, que Louis Aragon écrivait:

Est-ce ainsi que les hommes vivent,
Et leurs baisers au loin les suivent.

Que de distances, entre leurs amours et leurs baisers! Et plus encore, entre leurs amitiés...

Et parce qu'ils ne savent pas s'aimer, ils finissent par croire que l'amour n'existe pas, au delà du plaisir, ou de la jouissance, et ils se moquent de ceux qu'ils croient en imiter les gestes, les apparences... pour eux, rien de tout ca n'existe. Il faut donc que ces garçons soient des bêtes, et il faut aussi s'en moquer, pour éviter de leur ressembler.


samedi 1 décembre

Le jour, il n'y a que mon piano, pour m'apporter un peu de joie. Le seul autre moment de la journée, où je trouve, non pas le bonheur, ni même le réconfort, mais une paix... inconsciente, c'est la nuit, quand je rêve. Bien sur, il y a toujours la possibilité de faire un mauvais rêve. Ca, au moins, aussi longtemps qu'on est encore vivant, le rêve, même le mauvais rêve, si on dort, on peut toujours s'en éveiller. Mais, dans ce sommeil de la mort...


lundi 3 décembre

C'est pour rien que je tiens ce journal. Ce qui m'habitait, me hantait ou me possédait, je l'ai déjà écris ailleurs, sur des milliers d'autres pages, dans ces livres que je ne publie pas et, sans y penser, j'ai repris ici ce qu'on ne lit pas ailleurs, ni même ici, alors...

Quant à moi, je sais bien ce que j'en pense, maintenant que j'ai relu, ce que j'ai écris. Et sans doute, je le savais déjà, ou je le devinais. Mais, en le relisant, tout me semble plus clair. C'était déjà dans ma tête. Il fallait seulement l'en sortir un moment, quitte à le copier... quelque part, pour le sortir du néant, et lui offrir une part de réalité. Mais je ne sais plus si c'était bien nécessaire. Avais-je vraiment besoin de me connaitre, de me comprendre?

C'est une manie, bien insignifiante qui pousse certains hommes à chercher, un peu partout, un homme différent de celui qu'ils aperçoivent, tous les matins, dans leur miroir. Et pourtant, après des années de recherches, et même au sommet de la montagne magique, ils ne trouvent encore qu'un autre miroir. On peut bien observer l'univers, toute une vie, sans jamais y trouver autre chose que l'image qu'on y projette. Et puis, l'univers est-il autre chose que ce qu'on imagine? La véritable montagne magique se trouve peut-être à l'intérieur. Mais de qui? De quoi? Peut-être dans mon prochain rêve.


mercredi 5 décembre

Le rêve, la folie et la mort. Voilà à peu près où j'en suis, quelque part, dans l'espace et le temps, entre les limites de notre réalité. Mort, je ne le suis pas encore. Mais ca viendra. Fou, peut-être, probablement. Il me semble que j'ai toujours été un peu fou... un peu, beaucoup, passionnément, à la folie... ou pas du tout. Mais j'en doute. Quant au rêve, je n'en suis jamais vraiment sorti. Depuis toujours, je rêve, aussi bien le jour que la nuit.

Tout à l'heure, je me suis éveillé, dans un oasis, un petit village, perdu, au milieu d'un désert, avec quelques maisons, autour d'un étang, une terrasse, une dizaine de tables, sous un dais de toile, rattaché à des palmiers. Il y avait des gens, des hommes, des femmes, habillés comme des nomades, de petits groupes, deux ou trois, à chaque table. Ils mangeaient, buvaient leur thé, en chuchotant, derrière la main.

Et sur une table isolée, un garçon chantait, avec une voix claire, douce et rauque, une lente mélodie, avec un rythme... un espèce de flamenco. Les autres l'écoutaient, en silence, comme un office religieux. Et qu'est-ce qu'il chantait? Une prière? Un chant d'amour? On fait souvent chanter l'amour, aux enfants. Ca lui donne une vraisemblance naïve.

L'amour, on ne sait pas si ca existe, ailleurs que dans les contes, ou les chansons. On le voit rarement ailleurs qu'au théâtre, à l'opéra, au cinéma. On en parle, on le conte, on le chante, on le danse, en claquant les mains, en frappant les pieds sur le sol, en choquant les castagnettes, entre les doigts. Mais, que sait-on de l'amour? Il passe dans nos vies, comme un fantôme... au milieu de la foule. On ne sait pas toujours le saisir, on ne sait pas toujours quand il nous tient. Mais on sent bien quand il nous manque.

L'amour, je le sens parfois, dans mes rêves. Mais il disparait, aussitôt que j'ouvre les yeux. L'amour n'est peut-être qu'un rêve, une illusion... une utopie. Et s'il existe dans les rêves, il suffit donc de rêver, pour le trouver. Mais, rêver, est-ce suffisant? Autrement, il me reste encore, la folie et la mort.


jeudi 13 décembre

J'écris sous l'influence... de la musique. C’est mon absinthe, ma fée verte, ma fée bleue. J’écoute une musique, une guitare, quelques violons, une espèce de flamenco. Le genre qu'on entendrait peut-être, avant la corrida. On dirait, une histoire d'amour, racontée en ces rythmes brisés, accompagnée de castagnettes, de claquements de mains et de pieds. Une histoire qui se termine par la mort du taureau, ou celle du toréador.

Je le vois, entrer dans l'arène, un beau jeune homme, grand, mince et noir... Il marche devant nous, si noble et si fier. Il salut la foule et, sans se presser, il se rend, tout au centre de l'arène. De l'autre côté, le taureau est déjà sorti du toril. Il court, il tourne, il s'arrête brusquement. Il gratte le sol et, du bout de ses cornes, il chasse une forme invisible. Il cherche l'adversaire, et soudain, il le voit...

Il va vers lui. Il avance, lentement, au rythme du flamenco. Il trotte, il se rapproche. Mais le garçon continue de saluer la foule. Une jeune fille lui a jeté une fleur. Il se penche, la ramasse, et la glisse sous son bonnet, en souriant, au moment où le taureau arrive, derrière lui. La foule s'énerve. Elle fait des oh, et des ah, le taureau est désormais si près... Le garçon offre un dernier sourire, à la jeune fille. Puis, il se retourne, lentement, comme dans un film. Sa cape glisse sur le sol, il la suit des yeux, il tourne, se redresse, lève sa cape... puis, il s'efface, et laisse passer le taureau, devant lui.

Une rumeur monte de la foule. Au milieu de l'arène, le couple étrange continue sa danse lente. Le jeune homme mène la grosse bête. Il l'a fait passer, derrière lui, puis devant. Mais il me semble que la danse s'achève. Le couple sortira de l'arène. Ils se retrouveront aux vestiaires, ils se diront comme c'était bien, et s'offriront d'aller prendre un verre... chez mon ami, Lilas Pastia.

Mais le jeune homme, distrait, s'est arrêté un moment... au regard de la jeune fille, et le taureau est revenu plus tôt, et plus vite, et de ses cornes, il a ramassé le joli fantôme... qui vole au dessus de lui, comme un vol de colombes.

La foule fait des oh, et des ah. Le garçon n'est plus qu'un costume vide. Sur le sable chaud, son sang sèche déjà. Plus loin, le taureau, hébété, attend qu'on vienne le chercher. Tout à l'heure, on lui donnera un coup d'épée.

La foule est partie. L'arène est vide. Un vent doux efface les pas de danse, et le sang du garçon. De petits nuages jaunes s'élèvent, se poursuivent et s'en vont. Et dans le silence, on entend encore ce flamenco... Dans ma tête, je vois ce couple étrange, danser doucement au milieu de l'arène. L'énorme taureau, et le mince garçon. Le ballet n'est pas terminé. Ils danseront ensemble, toute la nuit, toute la vie. Une douce paloma flotte au dessus d'eux, et elle pleure... Mais, que sait-elle de l'amour?

Demain, un autre jeune homme viendra danser, avec le taureau, et son regard s'arrêtera peut-être sur un garçon. Ca n'est pas plus dangereux que le regard d'une fille. C'est l'oeil noir du taureau, qu'il faut craindre, noir, vide et sans amour, dans lequel il n'y a que la corrida... et la mort.


mardi 25 décembre

Quelle étrange journée! Tous les commerces sont fermés, sauf quelques cafés. Autrement, on dirait bien que la ville s'est arrêtée. Faut-il croire qu'ils sont tous partis fêter? Tous ce gens solitaires, sans familles, sans amis, ce soir, ils ont retrouvé une famille, des amis, quelqu'un avec qui ils feront comme s'ils étaient heureux, tous les jours, le temps de manger la dinde, les boulettes et la tourtière. Car demain, tout sera oublié. Ils reprendront leur métro, et leur petite vie, sans histoire, vraiment... sans aucune histoire.

Deux mois, pour acheter des cadeaux inutiles, à des parents, ou des amis qu'on ne reverra plus de l'année. Deux mois, pour préparer un réveillon, et peut-être un souper, chez la belle mère. Une ou deux soirées, à se raconter des vies qui n'intéressent personne. Mais ce soir, on fait comme si c'était bien important.

- Comme ca, t‘as changé ton char?
- Ben oui, ca fait deux ans...

Et puis, c'est quand même un comble. La fête la plus commerciale de l'année, et tous les commerces sont fermés. Et le pire, ca recommence dans une semaine, et sans doute, avec la même famille absente, les mêmes amis oubliés, et peut-être, une nouvelle belle mère. Mais avec les mêmes conversations plates. Heureusement, il y a la caisse de vingt-quatre.

Vraiment, je me demande ce qui est le plus pathétique, toutes ces réunions, où les étrangers font semblant de s'amuser, en attendant de retourner chez eux, ou ce pauvre type, solitaire, qui passe la nuit de Noël... au Dunkin.


samedi 29 décembre

On sort de l'enfance comme d'un rêve, un long rêve sans fin. On s'en éveille, et on oublie tout, presqu'aussitôt, et la vie n'est plus qu'un long sommeil, sans rêve. On s'en éveille, parfois, étonné, comme au milieu de la nuit. On se rendort aussitôt... on retourne à cette nuit, sans rêves. Et lentement, on entre dans la vieillesse comme dans un rêve. On s'y endort, on nous oublie, aussitôt. Enfin, on rêve à nouveau. Mais on ne reprend pas les rêves brisés, on ne retrouve plus ceux de l'enfance, et on ne s'éveille jamais plus sauf, peut-être, pour entrer dans une autre rêve... un long rêve sans fin, comme celui qu'on faisait, avant de vivre, d'exister... avant de venir rêver... dans cette réalité.

                                                                                                                                                                                                                                 


2013


lundi 14 janvier

Ce soir, j'ai revu un ami, un vieil ami, et sans doute, le plus vieux de mes amis. Je l'ai connu quand il était jeune, plus jeune que moi. Mais, le temps a passé, et si vite, il est désormais... presqu'aussi vieux que moi. Je n'en dis pas plus, il me lit parfois. Je ne voudrais pas qu'il comprenne que bientôt, il sera même plus vieux que je l'aurai été.

Vieillir, c'est la meilleure façon de vivre longtemps. C'est à peu près ce qu'il me disait. Et moi je pensais... ca n'est pas utile, de vivre aussi vieux si, c'est pour être vieux plus longtemps.

J'aurais bien aimé vivre longtemps, mais jeune. Qu'est-ce que ca me ferait, de vivre jusqu'à cents ans, et de passer mes journées dans un fauteuil roulant, à subir la tyrannie d'une jeune infirmière? La sagesse est-elle le seul avantage de la vieillesse? Alors, au diable, la sagesse! Je préfère encore être jeune et fou, et faire toutes les folies que permet la jeunesse.

J'aurais voulu rester jeune plus longtemps, disons, trente ans, pas plus de quarante. J'avais encore cet air adolescent. Comme c'est étrange. Mais je ne le voyais pas, alors. Et puis, tant qu'à faire, pourquoi pas vingt ans? J'étais encore immortel, à vingt ans.

Mais quand j'y pense, c'est à quinze ans, que j'aurais voulu cesser de vieillir. À quinze ans, on s'amuse encore comme un enfant. Mais on peut jouer comme les grands... avec les enfants, et parfois même, avec les grands.

Faire toutes les bêtises d'un adulte, et s'en sauver comme un enfant.


jeudi 17 janvier

Depuis quelques jours, je passais devant mon piano, sans trop le remarquer, sans même m'y arrêter, le temps d'un petit prélude. Ca ne semblait pas me manquer. Ce soir, je suis rentré plus tôt. Il faisait froid, pas question d'aller marcher, même autour du carré. En descendant de voiture, je n'avais qu'une idée. Me réfugier chez moi, dans ma chambre, lire quelque chose. En rentrant, je suis passé devant mon piano, et ca m'est revenu.

Au début, j'ai cru que ca n'irait pas. Presqu'une semaine, sans jouer, peut-être deux. Je pensais avoir les doigts noués. J'ai essayé le deuxième mouvement de la sonate Pathétique, ca ne sonnait pas trop mal. J'ai continué avec le premier mouvement de la sonate à la Lune, ca aurait pu être bien pire. Enfin, j'ai joué Clair de lune, et c'était presque bien. Alors, je me suis dit, il faudrait bien que je termine les Rêveries. Ca me ressemble plus que le Clair de lune.

Et pourtant, comme je m'ennuie de Chopin. Quand j'avais un mauvais piano, je regrettais beaucoup de ne pas pouvoir y jouer ses préludes. Et maintenant que j'ai un piano de concert, j'oublie toujours de jouer Chopin. Il faut vraiment que je reprenne ses préludes et sa valse, et son Opus 64... avant qu'il soit trop tard.


samedi 19 janvier

Il me semble que je n'aime plus rien, ni personne. Je me lasse de tout, des gens, des événements, et même des plus beaux objets. Bien sur, je les trouve beaux, un moment. Mais, une fois le moment passé...

Je sens bien que le temps passe, doucement, sans dire un mot... les jours, les semaines... Mais les nuits ne passent plus. Je m'éveille très souvent, dans mon lit, vide et froid.

Au milieu de l'agitation de la journée, et même, calmement assis sur un banc de parc, avec un bon livre, je ne sens pas la solitude. Mais le soir, la nuit, quant tout est couché, et endormi dans le rêve, je veille encore, avec les yeux grands ouverts, et je constate ma solitude.

Je suis probablement misanthrope. Je rejette ceux qui m'ont si longtemps rejeté, parce que je suis différent. Et à mon tour, je les rejette, parce qu'ils sont différents. Finalement, sur ce point, nous nous ressemblons.

Pour eux, je suis une erreur de la nature. Un garçon qui aime les autres garçons, quand il est encore jeune, ca peut toujours aller, on se dit, ca lui passera. Mais le garçon grandit, il vieillit, et là, plus rien ne va. Un homme, un vieil homme qui aime encore les garçons, ca ne va plus du tout.

C'est comme un verre vide, sur le comptoir d'un bar qui va bientôt fermer. Il faut ramasser le verre, passer un coup de chiffon, et fermer la lumière.

Le comte de Lasalle disait: tout hussard qui n'est pas mort à trente ans est un jean-foutre.

Depuis longtemps, j‘ai dépassé le temps du Hussard et, tout comme lui, je me dis: il vient un temps où il vaudrait mieux se foutre devant l'ennemi, offrir sa poitrine à la lame d'un mousquetaire, au boulet de son canon, et se retirer du jeu, même sans honneur.

Pour plusieurs, à mon âge, on est déjà mort, depuis longtemps, ou alors, il ne reste plus que l'enveloppe vide. Et puis, à trainer trop longtemps, on fini par devenir aussi triste que Paillasse.

Mieux vaut alors tirer l'échelle...
et tomber le rideau.


mardi 29 janvier

J'habite au centre ville, près de tout... et de rien. Je vis en dehors de la ville et des gens. Je vis dans ma tête, dans mes rêves. J'en sors à peine, un instant, pour faire ces autres choses que je ne peux pas faire dans ma tête. Et c'est bien peu de choses.

J'habite un studio, au premier. La façade donne sur la cour arrière d'une usine abandonnée. Je vis dans l'ombre. Une rare et faible lueur matinale, filtre parfois, par les fenêtres du salon. Ces étranges vitraux n'éclairent que la poussière. Je cache le reste du jour, avec des rideaux de bambou qui ne cachent pas grand chose. Mais, il y a si peu à cacher.

Il y a chez moi, une odeur de solitude ou d'abandon, une odeur de mort. Mon violon repose sur le divan, mon piano s'est endormi sous les partitions, ma table est couverte de nouveaux livres que je n'ai plus le gout de classer, dans mes bibliothèques, déjà trop pleines. Et puis, quand aurais-je le gout de les lire? Plus tard... aussi bien dire jamais.

Je suis le dernier survivant d'une race condamnée. Les autres sont déjà morts, ou partis, avec leurs chiens, leurs chats, leurs oiseaux, leurs poissons rouges... ces fausses vies, ces faux amis qui jappent, mordent et griffent, ou qui vous ignorent, complètement. On les nourrit, on les sort, on les promène, on les suit à la trace... afin d'effacer leurs traces. Vraiment... est-ce qu'on ferait ca, pour un humain?

Et puis, tous ces gens qui prétendent aimer les animaux, plus que les humains. Ils les aiment, à leur façon, mais d'un si pauvre amour. Et ce plus, dont ils qualifient leur amour, ce plus est encore si faible, ca montre bien le peu qu'ils mettent, à aiment les autres humains.

Que les hommes sont étranges. Ils parlent d'amitié, d'amour et de passion. Ils en truffent leurs conversations, à la place de ces autres mots qu'ils ne connaissent pas, un peu comme ceux qui blasphèment, pour donner du rythme à leur phrase, pour la ponctuer, ou pour remplacer un mot, un adjectif qu'ils ne savent pas.

Mais c'est égal. Les curés parlent de Dieu, les riches parlent de culture, et les pauvres parlent d'argent. Chacun parle de ce qui lui manque. Et quand il n'y a plus rien à dire, sur Dieu, les affaires ou l'argent, quand on a déjà tout dit, sur la température qu'il fera peut-être demain, ou sur les résultats sportifs, il arrive alors qu'on parle enfin d'amitié ou d'amour. Mais, comme pour tout le reste, ca n'a pas plus d'importance que le blasphème qui termine la phrase, et d'ailleurs, dans la bouche de plusieurs, l'amitié n'est encore qu'un blasphème.


dimanche 3 février

Je ne suis pourtant pas aussi triste que j'en ai l'air. Il est certain que je vais mourir, comme tout le monde... pas plus. La différence, c'est que je sais à peu près quand, et que j'ai presque décidé comment. Quand... ca dépendra autant de mes finances que de ma santé. S'il n'y a aucun changement, ca sera probablement d'ici un an. Comment, ca dépendra de la science que j'aurai atteinte à ce moment là. L'idée, en fuyant l'inconfort de la pauvreté, ou la douleur de la maladie, ca n'est certainement pas de mourir, au milieu d'indicibles souffrances. Et, comme je vois les choses, ca sera probablement un médicament. Un médicament, pour guérir... de la vie.

Enfin, je suis peut-être un peu triste. Mais ce qui me peine, ca n'est pas tant de mourir, comme de mourir sans aimer... une dernière fois, et même, une première fois. Après tout, qu'avons-nous d'autres à faire, sur cette terre? Aimer, les gens, les choses, l'argent? Mais aimer, sinon, ca n'est plus la peine.

Les gens diront: il était dépressif, il est devenu fou. Mais non. Je les rassure tout de suite. Je ne suis pas dépressif, je ne l'ai jamais été. Je suis même de ceux qui aiment les jours de pluie. Quant à la folie, on se trompera aussi. Il me semble que j'ai toujours été fou, d'une folie qui empêche peut-être les autres de me comprendre, mais qui ne m'empêche pas forcément de comprendre les autres, ou le reste de l'univers.

L'univers, ca n'est pas que j'y comprenne grand chose. Mais j'en vois une partie, et je devine le reste, du moins, je l'imagine, je le rêve. Je ne le connais pas vraiment, je ne le sais pas... disons le autrement, je le sens, j'en ai la foi.

L'univers est infini, aussi bien dans l'espace que dans le temps. Et pour moi, ce qu'on appelle bien naïvement: la réalité, ca n'a pas plus d'importance que le rêve. Naitre, vivre et mourir, c'est comme de passer d'un rêve à un autre, comme si on s'éveillait continuellement. Bien sur, ce modèle n'explique pas beaucoup mieux les choses. Mais ca évite qu'on perdre son temps à essayer de les expliquer.

Autrement, je crois en l'infinie complexité de l'univers, en sa continuelle réorganisation. Je vois une continuité, entre l'atome, la molécule, la pierre, la cellule, la plante, l'animal, l'homme et le reste de l'univers... ou Dieu. On parle des minéraux, des végétaux, des animaux. Mais il y a des minéraux qui sont presque des végétaux, et des végétaux qui sont presque des animaux, tout comme il y a des animaux qui sont tout près des humains, et sans doute, des humains qui sont tout près de Dieu.

On observe l'univers, on étudie sa matière. On le compte, on le mesure, on le pèse. On identifie des étapes, on établie des différences. On dit que la pierre existe, que la plante est vivante, que l'animal est intelligent, et que seul l'humain est conscient de tout ca. Mais si on peut apercevoir la vie dans la plante, c'est parce qu'elle existait déjà, au milieu de la simplicité de l'organisation de ses molécules. Et si on peut constater l'intelligence chez l'animal, il faut bien reconnaitre aussi une forme d'intelligence à la plante. De même, la conscience de l'humain existait déjà chez l'animal, la plante et la pierre... de façon plus subtile. Quant à l'âme, je ne sais pas si on peut vraiment la constater, même chez l'humain, sans la confondre avec sa conscience. Mais, d'une façon ou d'une autre, la vie, l'intelligence, la conscience, ou bien ca vient de ce mystérieux personnage que nous appelons Dieu, ou bien ca vient de la complexification de la matière, et alors, on peut se demander: d'où vient la matière? Et encore, si elle sait produire la vie, l'intelligence et la conscience, pourquoi ne saurait-elle pas aussi produire l'âme... et Dieu?

Nos ancêtres ne se sont pas trompés de beaucoup, quand ils ont imaginé un Dieu, au dessus de tout. Dans leur naïve ignorance, ils l'avaient tout simplement imaginé un peu trop semblable à leur image. Mais quand on réalise que c'est tout à fait le contraire, et que c'est véritablement l'humain qui est à l'image de Dieu, ou du reste de l'univers, quand on se rappelle que ce Dieu est infini, dans le temps et dans l'espace, et que, par son infini complexité, il est aussi, infiniment vivant, intelligent, conscient, et probablement, bien d'autres choses encore, que les limites de notre nature humaine ne nous permettent pas concevoir, enfin, quand on se rappelle que Dieu existe, ou tout simplement: qu'il est... ca devrait nous motiver à le chercher, bien au delà de notre existence qui n'est guerre plus avancée que celle de l'animal, de la plante, de la pierre...

Plusieurs croient qu'il n’y a pas de vie dans la pierre, pas d’intelligence dans la plante, ni de conscience dans l’animal, et encore, qu'il n’y a pas non plus d’âme dans l’humain. Alors, bien sur, il n’y a pas de Dieu au dessus de tout ca. Et si on poursuivait cette logique, il faudrait ensuite reconnaitre que tout ca n’existe pas, et que tout ca n'est qu'un rêve. Mais au moins, nous rêvons...

...car je souffre et je pense, et donc je vis et j‘existe.

Et quelle est donc cette vie, cette existence? Ca n’est peut-être qu’un rêve, qu’une illusion. Mais j’y souffre et j’y pense. J’y vis et j’y existe. J’y suis entièrement absorbé, comme dans un rêve, et je ne sais pas comment m’en éveiller. Il me reste donc à attendre l’aube, ou du moins, à l‘espérer.

J’existe. Je suis hors de l’être, de celui qui est. Ca n’est pas forcément une vérité. Mais une des nombreuses perceptions que les humains ont eues, de ce qu'on pourrait appeler: le phénomène divin. Car aussitôt que l'humain prend conscience de sa vie, de son intelligence, de sa conscience, il y cherche une origine et une finalité.

La finalité de la matière, de la vie, de l’intelligence, de la conscience, de l’âme, ca n’est pas seulement d‘exister, puisque ca existe déjà. Mais tout ca est en dehors de l‘être. Et pourquoi sommes-nous sortis de l'être? Est-ce par accident? Ou par un effet de sa volonté? Devons-nous continuer de nous répandre, de nous disperser, de nous complexifier? Ou devons-nous plutôt essayer de retourner à l’être, et tenter de nous y réintégrer? Les deux possibilités me semblent acceptables. Je ne dis pas que la réponse nous soit facilement accessible. Mais la question est à notre portée, et nous ne devons pas l'ignorer.

Quant à moi, je viens à peine de m'éveiller. Mais de quel rêve? Il me semble que je suis un voyageur. Mais je ne me rappelle plus d'où je viens, ni où je vais. Que faire? Rester sur place, jusqu'à ce que la mémoire me revienne? Essayer de retourner à cet endroit, d'où je viens, mais que je ne sais plus? Ou tenter de poursuivre mon voyage, vers cet autre endroit que je ne sais pas? Si vraiment je suis un voyageur, il me semble que je doive poursuivre mon voyage. Après tout, pour un voyageur, l'important, c'est de voyager, peu importe d'où il vient, où il va, où il devait aller, pour un voyageur, un endroit en vaut un autre, du moment qu'il justifie son voyage. Mais si je reste sur place, à attendre que la mémoire me revienne, je ne suis plus un voyageur, en fait, je ne suis plus rien. Alors, je continue mon voyage.


jeudi 7 février

Mais avant, il faut que je me débarrasse de toutes les bêtises que j'ai accumulées, bien souvent, sans trop savoir pourquoi, sans même me demander si ca me serait utile. On ramasse souvent n'importe quoi, avec le temps, ca devient encombrant et, depuis que je songe à partir, je me sens parfois si lourd, surtout que tout ca n'est pas vraiment à moi. Mais je ne parle pas de biens ou d'argent, ni même de mes précieux livres, ca, il me faudra bien le laisser derrière moi. Je parle de ces idées qu'on m'a enfouit dans la tête et dans le coeur, par malice, par ignorance ou par erreur, et que j'ai conservés, bien malgré moi, sinon, par négligence... peu importe, il faut que je m'en dépoussière l'âme.

Mais ca n'est pas si simple. D'abord, il faut se méfier des idées toutes faites. Sont-elles vraiment les résultats d'une patiente observation, d'une minutieuse analyse, d'une longue réflexion? On bien, ont-elles hypocritement passé la mince barrière de notre sens critique, uniquement parce qu'on les exprimait peut-être en rimes et en rythme? Tout ce qui est bien dit, et qui plait à l'oreille, semble parfois agréable à l'esprit. Mais, si ca ne nourrit ni le corps, ni l'âme, ca n'engraisse que la bête.

Les bêtises, on les maquille, on les déguise, comme pour un bal masqué. Au début, on peut facilement les confondre avec les autres invités. Elles se camouflent, parmi eux, et s'éloignent discrètement, dès qu'on tente de les approcher... étranges courtisanes. Elles ne trouvent pas leur place à la table, ni au salon, et elles sont bien embarrassées, quand il faut enfin lever les masques. Et souvent, on les ramasse, après la soirée, comme des colliers de pacotilles, perdus, oubliés, ou tombés, entre les tables, et abandonnés, par ces étranges visiteurs... qu'on n'avait pas vraiment invités.


mercredi 13 février

J'ai toujours su ce qui est bien ou mal. Avant qu'on me l'enseigne, à la maison, à l'école, à l'église, avant même de naitre sur cette terre, je le savais déjà, et sans doute, je le saurai encore, quand je n'y serai plus... ou ailleurs.

Les lois de la nature sont gravées dans mon corps, dans ma tête et dans mon coeur... dans mon âme. Quand on me les enseigne, quand on m'en parle, je n'en suis jamais étonné. Ce qui me semble nouveau, trouve toujours un écho, tout au fond de moi, au milieu des ces autres souvenirs, ces déjà vu... et souvent, je me dis: il me semble que je le savais déjà.

Mais il arrive aussi qu'on tente de m'enseigner des idées que je ne reconnais pas, ou qui me semblent étrangères, et tout au fond de moi, quelque chose s'y oppose. Et ca aussi, je le sais.

Parce que je suis intelligent, je peux faire des choix, et des erreurs. Mais certains voudraient faire ces choix à ma place, décider pour moi et, sans doute, ajouter leurs erreurs aux miennes. Et si je me soumets à leur volonté, est-ce que ca fait de moi un innocent? Il me semble, au contraire, que ca me rend encore plus coupable.

Mais je suis responsable, bien avant d'être coupable. Car il faut d'abord être vivant et intelligent, pour être responsable. On doit pouvoir observer, décider et agir. Pour être coupable, il faut aussi être conscient.

C'est ma responsabilité de prendre les bonnes décisions, même si les mauvaises me sont imposées par un plus fort. Et si je me soumets à sa volonté, par ignorance, par négligence, ou par distraction, si j'abandonne mon discernement, pour adopter le sien, ca ne m'enlève aucune responsabilité. Bien au contraire, obéir à la volonté d'un autre, ca me donne une responsabilité supplémentaire.

Je ne suis ni une pierre, ni une plante, ni un animal. Je suis un humain intelligent et conscient. Je ne peux pas me permettre d'obéir aveuglément, comme une bête. J'ai le droit et le devoir de savoir et de comprendre ce que je fais, avant de le faire, sinon, mieux vaut ne pas agir. Quand bien même ce serait bien, je n'en retirerais aucune gloire, tandis que si c'est mal, j'en retirerais tout le balme. Et puis, je sais bien, chaque fois qu'on me commande d'obéir, sans savoir, ni comprendre, c'est parce qu'on sait bien que je refuserais d'obéir, si je savais, ou si je comprenais.

Il n'y a pas de pire crime, que de forcer les gens à agir contre leur volonté, ou à agir, sans comprendre ce qu'ils font, sinon, celui d'accepter de faire ce qu'on ne comprend pas, et pire encore, d'accepter de le faire, en sachant que c'est mal. Le devoir d'obéissance est peut-être une défense acceptable, devant une cour de justice. Mais ca ne change pas le mal en bien, et ca ne justifie pas la morale qu'on prétend respecter. De même, le risque d'y perdre la vie n'est pas non plus une excuse.

Pour un humain, perdre ou aliéner son intelligence ou sa conscience, c'est un plus grand malheur que de perdre sa vie. Et pour les autres, c'est un bien grand malheur aussi, car la perte de sa conscience, ramène l'humain bien au dessous de sa condition humaine, et souvent, bien au dessous de sa primitive condition d'animal.

Il aurait mieux valu n'avoir jamais été autre chose qu'un animal, une plante ou une pierre, plutôt que d'avoir été un humain, et de ne pas avoir agit... comme un humain.


dimanche 17 février

Je ne sais plus si la chose m'amuse autant qu'elle m'étonne. Je tiens ce journal depuis plus d'un an, j'y ai reçu des milliers de visiteurs, ce qui ne signifie pas forcément autant de lecteurs, mais quand même, au hasard, quand ca ne serait que par négligence, il y a bien eu au moins quelques lectures. Et pourtant...

Enfin, un type écrit qu'il va mourir, de maladie ou autrement, quitte à se suicider, et ca ne soulève aucun commentaire particulier. En fait, les milliers de visiteurs se sont surtout intéressés à mes listes de manuscrits, livres et partitions, à mes disques, mes films, et même à mon résumé. Autrement, c'est comme si j'avais écrit que je ferai mon épicerie en fin de journée. On se dit: et alors...

En dehors de ce journal, j'en ai parlé à des amis qui m'ont quand même servi le monologue habituel: allons, tu ne peux pas faire ca, la vie est belle... Mais aucun n’a pu m'expliquer cette beauté. Un peu plus, et ils se suicideraient avant moi. Sans doute, s'ils vivent encore, c'est plus par négligence que par conviction. Et puis, il y a ces philosophes qui me demandent: tu as le sida?

Bien sur, personne ne semble comprendre pourquoi je vais mourir. Mais, c'est égal, ils ne savent pas non plus pourquoi je devrais continuer à vivre. En fait, ils ne comprennent rien à la vie, et encore moins à la mort. Leur philosophie est toute simple: il faut vivre le plus longtemps possible. Et la discussion ne va pas beaucoup plus loin. On ne sait pas pourquoi il faut vivre, ou mourir.

N'est-ce pas étonnant? La naissance et la mort, les deux moments les plus importants de notre existence terrestre, et on ne sait rien en dire de plus. On veut vivre, parce qu'on vit. Et on refuse de mourir, pour la même raison.

Pour plusieurs, la vie n’est qu’un passe-temps, entre la naissance et la mort. Un passe-temps, sans doute agréable, pour quelques uns, et bien désagréable, pour plusieurs. Bien sur, ceux qui disent que la vie est belle, oublient sans doute qu’elle ne l’est pas pour tout le monde. C’est comme de prétendre que plus personne n’a faim, quand on a fini de bien manger.

Mais attention, vivre et ne pas mourir, ca n'est pas du tout la même chose. Vivre c'est ce qu'on fait, même avant la naissance, qui ne marque, en fait, qu'un niveau de conscience différent. Imaginez un foetus qui refuserait de naitre. On lui dirait: mais voyons donc, il faut que tu naisses. Tu ne peux pas éternellement rester dans le ventre de ta mère. De même, à celui qui vit, et qui vieilli, on pourrait dire: allons, tu ne peux pas éternellement rester sur terre. Il te faut continuer ton voyage.

Et justement, ce voyage, le mien, je sens bien qu'il s'achève. Ma chambre d'hôtel est déjà réservée pour un autre, et puis, je suis fatigué et sans le sou. Pourquoi devrais-je m'attarder ici, à étirer inutilement, des vacances qui ont déjà durées trop longtemps? Qu'est-ce que je fais encore ici?

Mais on me répète que la vie est belle... de quoi parle-t-on? Ca fait bientôt un an que j’écris que je vais mourir, et on s’en fout royalement.

D'un autre côté, je dois dire que ca ne m'impressionne pas tellement, du moins, jusqu'à maintenant. Je vois bien que le temps passe, les jours se bousculent, et pourtant, il me semble que ma finalité est toujours aussi éloignée de moi, que cet insaisissable horizon. Mais, je sais bien que cette impertinence finira par se résoudre, en son temps.

Pour l'instant, je ne la sens pas encore, elle est tout près, elle rôde discrètement, elle rampe, nous la neige, comme entre les herbes hautes... sans but, et presque désintéressée. Mais elle se rapproche et, un jour prochain, quand je ne m'y attendrai plus, elle se glissera, tout près de moi. Un de ces matins, je verrai son reflet dans le miroir de ma salle de bain, je l'apercevrai, rien qu'un instant, se dressant bien haut, derrière moi. Je me retournerai... trop tard.

Même quand vous l'attendez, la chose vous frappe, sans prévenir, comme un coup de tonnerre, au milieu de la tempête.

Elle me mordra au talon, je ne sentirai rien. Mais devant moi, tout s'effacera. Il n'y aura plus rien, ni devant, ni derrière, ni avant, ni après.


mardi 19 février

Il parait que la plupart des humains, même les plus intelligents, n'utilisent qu'une petite partie de leur cerveau. Si, comme on le dit, l'usage crée l'organe, pourquoi un cerveau qu'on utilise si peu, s'est-il développé à ce point?

Mon idée, c'est qu'on en sait très peu, sur le cerveau, et parce qu'on ne sait pas trop à quoi il peut bien servir, on décide qu'il ne sert à rien. Et puis, est-ce bien vrai qu'il est inutilement trop grand? Après tout, la moindre blessure, affecte immédiatement son propriétaire. On n’en utilise qu'une petite partie, mais on trouve toujours le moyen de blesser la partie qu'on utilise. Autrement, comme le dirait Salomon: dites-moi quelle partie je puis en retrancher.

Mais il est très possible aussi, que la plus grade partie du cerveau ne serve pas qu'à gérer le mouvement, la parole, ou le mâchouillement de la gomme? Peut-être que la plus grande partie de notre cerveau sert justement, à gérer notre conscience. Et quel espace peut bien nécessiter la conscience, dans un cerveau moyen?

Une mouche a le cerveau de la grosseur d'une tête d'épingle, et elle est quand même bien difficile à attraper. Un éléphant a le cerveau beaucoup plus grand qu'une souris, et pourtant, on ne le trouve pas beaucoup plus intelligent. D'ailleurs, on ne l'utilise jamais, pour des expériences de labyrinthe. Peut-être alors, tout comme pour la grosseur des muscles, celle du cerveau ne détermine pas forcément l'intelligence. En fait, il me semble que c'est plutôt sa complexité qui détermine sa qualité.

Il y a aussi une autre possibilité. On reconnait la vie et l'intelligence, quand la matière qui les supporte est devenue suffisamment complexe et organisée. De même, l'humain reconnait sa conscience, quand son intelligence est suffisamment complexe et organisée. Aussi, cette grande partie du cerveau, que nous ne semblons pas beaucoup utiliser, est peut-être le siège de la conscience, pour ne pas dire, celui de l'âme. Je ne dis pas que l'âme est située dans le cerveau. Mais que c'est dans cette partie, qu'on semble si peu utiliser, qu'on arrive à reconnaitre l'existence de l'âme.

Dans son livre: La place de l'homme dans la nature, Teilhard de Chardin écrit que le fer est invisible, dans le noir, mais si on le chauffe, il rougit, et devient apparent. Il était pourtant déjà là. Mais on ne le voyait pas. La chaleur l'a fait rougir, et son rougeoiement nous a révélé sa présence. Mais il ne l'a pas créé. De même, l'intelligence de l'humain nous révèle son esprit. Il ne le crée pas. Et si l'intelligence disparait, par maladie, par accident, ou par la mort, l'âme ne parait plus. Mais elle existe peut-être encore, si bien sur, elle existait déjà.


samedi 23 février

L'univers n'est qu'un amoncellement de matières, plus ou moins complexe et organisée. En dehors de son vide infini, il y a les étoiles et les planètes. Les étoiles ne sont que des boules de gaz. Mais elles créent les planètes, qui ne sont que des boules de terre, et de pierres. Tout ca dure depuis des milliards d'années, et peut-être, depuis toujours, si on accepte qu'il n'y a pas eu de commencement.

Pourquoi cet univers de gaz et de pierres, s'est-il complexifié, au point de faire apparaitre la vie, l'intelligence, la conscience? Rien de tout ca ne lui était nécessaire. Pourquoi cet univers a-t-il créée la vie? Pourquoi cette vie, est-elle devenue intelligence? Pourquoi cette vie est-elle devenue consciente? La vie, l'intelligence et la conscience, ne seraient ils que des accidents involontaires de l'univers?

On nie ce qu'on ignore, ou ce qu'on ne comprend pas, au nom de la science. Mais au nom de cette même science, si le néant peut créer la matière, et si la matière peut créer la vie et l'intelligence, et si cette intelligence peut devenir consciente, pourquoi ne pas accepter aussi, que tout ca peut aussi créer l'âme? Ou encore, si tout ca peut sortir du néant, ne peut-on pas supposer que ce néant n'était pas aussi vide? Et, au contraire, qu’il contenait déjà la vie, l'intelligence et la conscience? Ne peut-on pas admettre que la matière sort de la matière, que la vie procède de la vie, et que l'intelligence provient de l'intelligence? Ne peut-on pas imaginer que ce néant était déjà vivant, intelligent et conscient? Et cet âme que plusieurs réclament, n'était-elle pas déjà présente, dans ce qui nous semblait alors le néant?

Disons-le autrement: Au début... Non. Disons-le autrement, puisqu'il n'y a pas eu de début, et qu'il n'y aura pas de fin, ni dans le temps, ni dans l'espace, du moins, s'il reste encore quelque valeur à ces deux notions. Et donc, pas au début, mais disons donc: Avant... il y avait ce que nous pourrions appeler l'Être, et non le néant. Et tout ce qui en est sorti, nous l'appellerons: l'Existence. Et cette existence, dans laquelle nous reconnaissons la vie, l'intelligence et la conscience, puisque nous admettons qu'elle provient de ce néant que j'appelle l'Être, il faut aussi reconnaitre que cet Être est vivant, intelligent et conscient.


lundi 25 février

Nous existons. Nous sommes en dehors de l'Être. Et alors, que faut-il faire? Retourner à l'Être, ou poursuivre notre cheminement?

D'abord, il faudrait savoir, si nous en sommes sortis par dessein, ou par accident. Et quand bien même, se serait par accident, on pourrait aussi se demander si ca n'est pas un accident heureux, ou favorable. Bien sur, si nous n'avons pas le choix, il 'y a même pas à se questionner. Mais, jusqu'à un certain point, nous avons la possibilité de choisir. Et nous le savons bien, si nous ne choisissons pas, quelqu'un ou quelque chose choisira à notre place.

Par exemple, une pierre tombe de la montagne. Nous l'entendons rouler, nous la voyons venir, et nous savons que si elle roule sur nous, nous en mourons. Faut-il, au nom du respect de la nature, laisser la pierre rouler sur nous? Ou devons nous plutôt essayer de l'éviter? Je sais bien ce que je choisirais de faire. Mais je ne prétends pas que ce soit la seule solution, ni la meilleure.

Ce qui en moi est vivant, cherche désespérément à vivre, à survivre, et parfois même, bien au delà de mes possibilités physiques. Bien sur, si j'en avais le temps, ce qui en moi est intelligent, trouverait peut-être une autre solution. Ce qui en moi est conscient, déciderait peut-être que je doive me laisser écraser par la pierre. Mais, en cas d'urgence, il me semble que c'est l'animal qui prend la priorité. Quant à l'humain intelligent et conscient, quant à l'humain... animé d'une âme immortelle, il n'a souvent ni le temps, ni le désir d'intervenir.

Il n'y a souvent qu'à l'heure de la mort, que l'humain se rappelle qu'il a peut-être une âme, et parfois, et souvent, avec le peu de temps qu'il lui reste, c'est décidément un peu trop juste, pour que ca en vaille encore la peine.


jeudi 28 février

Il y a autant de réalités que d'observateurs. S'il n'y a plus d'observateur, est-ce qu'il y a encore une réalité? Le rêve est tout aussi réel que ce qu'on appelle la réalité. S'il n'y a plus de rêveur, est-ce que le rêve existe encore? Le rêve commence avec le rêveur. La réalité existe... quand on l'observe. Quelle est la différence, entre le rêve et la réalité?


dimanche 3 mars

Ce soir, je ne sais plus si je suis triste, rêveur, ou tout simplement distrait, certains diraient, dans la Lune. Mais, il me semble, je suis plus près de Saturne. Non, ca n'est pas tellement de la tristesse, peut-être un spleen, ce sentiment, ce mot Anglais, qui affecte plus souvent les Français.

Ce soir, j'aurais ouvert une bouteille. Cette nuit, je l'aurais vidée. Au matin, je ne me serais pas levé, ni même éveillé. Je ne sais pas si c'est une bonne idée. J'hésite encore, le mouvement est trop lent, il manque de naturel. J'hésite. Je ne suis pas près... pas encore.

Céline dit que j'écris mal, que mon temps est passé, ainsi que ma façon d'écrire, et donc, ma façon de penser, puisque je pense avec ces mots, et ces phrases démodées. En fait, je pense, je parle et j'écris, avec les mots qui sont les miens. Je ne sais plus où je les ai trouvés. Mais qui dit que j'aurai plus de chance, avec ceux des autres? Et comment les choisir, si j'analyse tout ca, avec mes mots, mes idées. Aussi bien laisser tout ca à sa place. Et puis, des mots, j’en ai bien assez, sans m’occuper de ceux des autres. Quant au style, il me semble que j'en ai un aussi.

Quand même, j’aurais bien vidé une bouteille...
Qui sait ce que j’y aurais trouvé... tout au fond.


jeudi 7 mars

Ce qui me manque le plus, c'est de partager tout ca avec quelqu'un. Pas un, qui ne sait que dire: oui, je comprends, mais tu sais... pas un qui voudra me faire voir les bons cotés de la vie, ces côtés là, je les connais, je les ai déjà vus, goutés et usés à la corde. Je n'en suis plus à me chercher des raisons de vivre. J'ai déjà vécu, et sans doute, mieux que la plupart des gens. Et puis, il ne s'agit plus de rechercher les petits plaisirs de la vie, et de s'y complaire, comme si c'était déjà le paradis. Pour moi, tout ca n'a plus de valeur. Manger boire et dormir, ca n'est plus ma raison de vivre. Et même de rêver, qu'est-ce que ca me fait, s'il faut encore s'éveiller au matin, et pire encore, plusieurs fois par nuit...

Vanité, comme disait l'autre, tout ca n'est que vanité. Ca ne dure pas, et même pendant que ca dure, ca vaut ce que ca vaut. Et quand on le regarde d'un peu plus haut, d'un peu plus loin, ca ne vaut plus grand chose.

Il ne s'agit pas de mépriser la vie, la naissance et les premiers balbutiements de l'enfant. Il faut ce qu'il faut. On vient au monde ignorant et démuni. À la naissance, on sait déjà hurler. Mais tout le reste, il faut l'apprendre: manger, marcher, courir, lire, écrire, compter... et après, on mange, on marche, on courre... quelques uns continuent de lire, de s'instruire. Mais, la vie est courte. Plusieurs n'ont pas le temps de sortir de leur ignorance, d'autres ne s'en donnent pas la peine. Et ils viennent me hurler que la vie est belle? Qu'est-ce qu'ils en savent?

Quand ils trouvent du gout, à la vie, ils parlent de leur viande, du pain, des pâtés, des fromages et du vin. Quand ils disent qu'ils sont bien, c'est parce que leur fauteuil est confortable, ou que leur lit est bien douillet. Et quand ils sont pleinement heureux, c'est parce qu'ils ont passé les quinze dernières minutes du mois... à baiser comme des bêtes... avec la voisine.

Justement, comme des bêtes. Respirer, boire, manger et dormir, toutes les bêtes font ca. Et même rêver, plusieurs savent le faire aussi. Mais combien savent à quoi ca sert de rêver? À comprendre qu'on était éveillé? Ou qu'il faudrait peut-être aussi s'éveiller de cette vie, qu'on s'imagine être l'éveil, ou la seule veille possible?

La vie n'est qu'une longue souffrance, avec quelques moments de repos qu'on fini par associer au plaisir, et parfois au bonheur. Mais s'il n'y a rien d'autre, cette souffrance ne sert à rien. Les pierres ne souffrent pas, les plantes non plus. Elles ne savent même pas qu'elles sont vivantes, la plupart de animaux ne le savent pas non plus, et certains humains semblent l'ignorer. Ils vivent comme des animaux, comme des plantes, comme des pierres. Moi je veux vivre comme un dieu. Mais, tu comprends...

...C'est trop loin. Je ne peux pas emporter ce corps-là. C'est trop lourd.
Antoine de Saint-Exupéry - Le Petit Prince


La seule chose qui me retienne encore, c'est la possibilité qu'il n'y ait rien de plus, après la vie, que tout s'arrête là, dans le noir et l'absence, comme un long sommeil sans rêve. Mais cette absence rend la vie absurde. Et pourquoi toute cette souffrance? C'est peut-être un signe qu'il y a autre chose après... ab absurdo.

Je suis près de la mort, comme au bord d'une rivière. L'eau est belle et fraiche, et probablement si froide, que je n'ose pas y tremper les pieds, et puis, peut-être qu'il n'y a pas de fond. Et pourtant, si j'osais, je ferais un pas en avant, je ferais le saut, et j'ouvrirais cette boite de Pandore. Mais, qui sait ce qui en sortira? Alors, J'ai peur. Mais...

J'aurai bien plus peur ce soir…
Antoine de Saint-Exupéry - Le Petit Prince


lundi 11 mars

Il me semble pourtant que je n’ai pas si peur. J’hésite un peu, avant de sauter, sans doute, comme l’oiseau, avant son premier vol. Ce nid, qui me semble désormais... si petit, et où je ne trouve plus, ni bonheur, ni plaisir, il est peut-être encore plus douillet que ce qui m’attend. Alors, je me dis... encore un peu de temps, comme si l’attente allait m’apporter la moindre consolation. Mais elle ne m’apporte que des questions... sans réponse. Le temps ajoute de nouvelles inquiétudes, à mes peurs anciennes.

Mais je suis allé trop loin, et si près du bord... à en perdre l'équilibre. Je ne peux plus renoncer, et retourner à ma petite vie, bien tranquille, comme si je ne savais pas. J’ai vu ce qu’il y a après, de l’autre côté, une ombre, sans forme, un paysage, caché par les brumes. On dirait un rêve dont on s'éveille. Le souvenir subsiste, un moment. Mais la lumière du jour a vite fait de le sublimer, et bientôt, il n'en reste plus rien, pas même une image, une idée...

J'ai tout oublié de mon rêve. Mais je sais bien que j'ai rêvé, et ca, je ne peux plus l’oublier.


samedi 23 mars

Il me semble que c'est toujours le soir, l'heure du souper, le début de la soirée... de la nuit. Les heures du jour passent, sans trop laisser de traces. Et pourtant, ma journée n'est pas tout à fait vide. Je déjeune au café, j'y rencontre des amis, ca dure une partie de l’après-midi... en quittant, j'arrête à la librairie, j'y passe un moment... on discute. Puis, je lève la tête, le soleil se couche... c‘est déjà la nuit. C’est comme si j’avais dormi toute la journée, pour ne m‘éveiller qu‘au début de la soirée. Et pourtant, qu'est-ce que je fais de plus, le soir?

Pas grand chose, il me semble. Je prépare mon souper, je mange... et je sors. Bien sur, j'arrête un moment au club vidéo, j’y ramasse un ou deux films, mais surtout, je vais au café... rencontrer des amis. La soirée passe assez vite, il est bientôt minuit... je retourne chez moi. J'écoute un film... Il est deux heures du matin, je me couche... enfin, si ma journée s‘arrêtait là. Mais c'est peut-être ce qui rend mes soirées et mes nuits, si importantes. Je dors bien. Mais je m'éveille aux deux heures. Je me lève, je fais quelques pas, je jette un oeil sur la ville sombre, comme si ca pouvait faire une différence, je vérifie l’heure... sans raison, je me recouche, je me rendors aussitôt. Cet affligeant rituel me fait paraitre la nuit plus longue, en fait, beaucoup plus longue que le jour.

Mes jours sont souvent très différents. Hélas, mes nuits sont toujours les mêmes. N'est-ce pas étonnant? Ce ne sont pas les différentes activités de la journée, qui retiennent mon attention... mais la monotonie de mes nuits.

Je regrette beaucoup ce temps où je m’endormais... comme un enfant. Je dormais toute la nuit, sans jamais m‘éveiller. Au matin, la journée me semblait toujours pleine de promesses. Désormais, quand je m'éveille, souvent, aussi fatigué que la veille, je me dis: plus que quelques heures, avant la prochaine nuit.

C’est peut-être ce sommeil interrompu, qui me fait désirer de m’endormir, et de ne plus jamais m’éveiller.

Mourir.., dormir,
Dormir! Peut-être rêver!
Oui, là est l'embarras.
Car quels rêves peut-il nous venir
Dans ce sommeil de la mort,
Quand nous sommes débarrassés
De l'étreinte de cette vie?

Shakespeare - Hamlet


vendredi 29 mars

Comme c'est étrange... Mes textes commencent souvent de cette façon. Je n'ai pourtant pas perdu ma capacité d'émerveillement. Mais, la grande émotion, le coup au coeur, ca m'arrive moins souvent. Et puis, avec les temps qui viennent, j'ai plutôt tendance à me cantonner dans une certaine résignation, et mon émerveillement se transforme parfois étonnement, disons, quelque chose entre le haussement d'épaules, et celui d'un sourcil. Ca n'est pas tout à fait la même chose. Lever le sourcil, ca marque quand même un minimum d'émotion. Lever les épaules, c'est un total désintéressement.

Un peu avant les fêtes, un ami me disait:

- Ce sera bientôt la fin du monde.
- Vraiment?

Ce vraiment est un haussement de sourcil. Après tout, la fin du monde, ca intéresse un peu tout le monde. Mais encore, il faut savoir...

- Et... c'est pour quand?
- D'ici dix ans. Un météore fonce sur la terre...
- Bof...

Évidemment, dix ans, qu'est-ce que ca peut bien me faire? Alors, comme on dit, après moi le déluge.

Bien sur, quand on est habitué à l'idée d'une mort prochaine, bien des petites choses semblent désormais sans importance. Le temps qu'il fera demain, la pluie, la neige... ca m'intéresse encore. Il faut savoir si j'emporterai une veste, ou un manteau. Mais, la fin du monde qui se produira peut-être, dans dix ans, quand je n'y serai plus, depuis longtemps, je trouve bien difficile de m'y intéresser. Et puis, pourquoi aurais-je le moindre intérêt, pour la fin d'un monde qui n'a jamais démontré le moindre intérêt pour ma fin à moi? Ma réaction devient donc un haussement d'épaules.

Je reconnais que je suis égoïste. Mais, si près d'un possible néant, je me sens plutôt centré sur moi-même. D'un autre côté, je ne vois pas souvent ces altruistes, dont on parle dans les livres.


jeudi 11 avril

Finalement, il m'est beaucoup plus difficile de quitter cette vie, pour laquelle j'ai encore des espoirs insensés, que de quitter ce monde, qui m'a si souvent rejeté et méprisé. Enfin, je dis ca, comme si ca me faisait quelque chose, alors que je m'en fous royalement.

Même très jeune, on me rejetait, on me méprisait, on se moquait de moi, parce que j’étais différent, et pas forcément mauvais, bien au contraire. J’avais souvent les premières places, à l’école, à la radio. Mais, c‘était peine perdue. J’étais différent, alors, on me rejetait.

Et qu'est-ce que ca me faisait? Du moment qu'on ne me battait pas, ca m'était totalement égal. Bien sur, j'aurais voulu avoir des amis, au moins un, quelqu'un avec qui partager mes rêves. Ca m'arrivait, parfois, rarement, et ca ne durait jamais bien longtemps. De toute façon, j'étais bien, seul, avec mes rêves.

En vieillissant, j'ai perdu l'habitude d'espérer la moindre amitié. Au travail, j‘avais bien quelques compagnons. Nous prenions la pause ensemble, parfois, nous allions dîner. Mais ca n’allait pas plus loin.

Et puis, avec le temps, j'ai fini par rejeter ceux qui me rejetaient. Bien sur, je le fais discrètement, sans violence, ni méchanceté, sans blesser les gens. La différence, c'est qu'ils m'ont rejeté, sans savoir, uniquement parce qu'ils me trouvaient différent, alors que moi, je sais bien pourquoi je les rejette: ils sont tous pareils.


samedi 13 avril

J'aimerais habiter ce château, enfin, celui là, ou un autre... un grand château, caché ou perdu, dans ces paysages du bout du monde. Je n'en serais pas le seigneur, mais l'ami invité. J'aurais même une chambre, dans les combles, qu'est-ce que ca peut bien me faire, la nuit, au milieu de mes rêves, ou le jour, perdu dans ceux des autres.

Je serais chambellan, au service d'un jeune laird, du moment qu'on me laisse du temps, pour aller rêver au jardin. Une fois seul, j'oublierais mon service, et serais grand seigneur... ou poète, perdu dans le labyrinthe de Pan... ou ailleurs.

Le chambellan est comme le chat de la maison. Son maitre y habite aussi. Mais le château est à lui. Bien sur il doit parfois se plier aux caprices de son maitre. Mais, nous sommes tous au service d'un plus riche, d'un plus fort, et pas forcément plus noble.

Et puis, quand on sert un petit laird de province, oublié et caché, dans l'un de ces châteaux, du bout du monde, on peut bien vivre aussi vieux que son maitre, manger son pain, et boire son vin. On peut aussi séduire sa vieille femme, sa jeune fille et, pourquoi pas, son fils cadet aussi.


vendredi 17 avril

C'est facile, d'imaginer, un soir de pleine lune, quelque part, au milieu du printemps, sur ce pont, qui relie le château au continent, déjà loin, et encore si près, deux jeunes amants, se tenant par les mains et, sans vraiment se voir, mais, les yeux dans les yeux, se faisant, en silence, toutes les promesses du monde...

Comme c'est facile, de les voir se promener, tout autour du château, à travers le jardin, encore désert, avec les montagnes en arrière plan, et la mer infinie, à l'horizon. On la devine, on l'entend, son chant, étourdissant, ses coups de vagues, en ostinato, ses violentes marées, et son étale silencieux. La nuit, on rêve, même éveillé.

Quant aux jeunes amants, on a beau les chercher, un peu partout. Ils sont partis, disparus. Ils sont rentrés au château. Sous la grand porte, les mains se sont séparées, et les garçons sont rentrés, nobles et fiers, en regrettant, silencieusement, de ne pas être... de simples paysans.


vendredi 19 avril

Ce soir, je suis retourné au parc. J'y passe tous les jours, devant, derrière, à côté, sans jamais m'arrêter, bien souvent, sans même y penser. En hiver, caché sous la neige, je l'oublie plus facilement. Mais ce soir, pour ainsi dire, en ces premiers jours de printemps, je marchais, seul, dans la nuit, je suis passé devant le parc, je m'y suis arrêté, j'ai choisi un banc, à l'ombre de la lune, et j'y ai passé un moment, sans doute, assez long, à rêvasser, et peut-être, à espérer qu'il y passe aussi un joli garçon.

Mais, à cette heure, ils sont tous couchés, seuls, ou avec un plus jeune. Si jamais ils savaient que je les attends, sur ce banc de parc, ils en riraient, en attendant de vieillir, et d'en pleurer, à leur tour.

Tous ces discours, sur les jolis garçons, de vagues souvenirs, des rêves impossibles, dans le fond, pour oublier l’inévitable réalité. Et puis, j'ai beau les chercher, mais il y a très peu de jolis garçons, derrière moi et, certainement aucun, devant moi. Il n'y a que la mort, sombre et solitaire. Et après, je n'en sais rien. Mais, pourquoi serait-ce plus agréable que ce qui précède?


lundi 23 avril

J'écris beaucoup, des romans, des nouvelles, mon journal, des lettres... je tiens une correspondance, avec quelques amis, nous échangeons, des choses, sans trop d'importance, sans doute, pour nous assurer de la notre. J'ai déjà reçu des lettres d'amours, très peu. Elles me venaient d'un garçon... de Singapore. Pendant un moment, il m'a presque convaincu que je pouvais être aimé. Mais, à cet âge, on aimerait n'importe qui. Au mien, on voudrait bien le croire aussi.

Mais les lettres, les écrits, même si on prétend qu'ils restent, valent-ils vraiment plus que les paroles? Moi je sais bien que les paroles, même les promesses, ne valent pas les actions. On dit des choses, et on les pense peut-être, on les affirme, on les promet, on les écrit dans des lettres qu'on signe. Est-ce que ca ne vaut pas un contrat?

Je t'aime, et je t'aimerai toujours.
Rien ne saura nous séparer.

Enfin, rien, sauf le prochain garçon rencontré à ce club, où on ne voulait pas aller, et où, on a finalement passé la soirée... et la nuit.

Quand on promet d'acheter un livre, une voiture, une maison, on tient parole. On se dédie rarement de ces choses là. Mais, promettre de s'aimer toute la vie, quand on n'est pas même certain de s'aimer toute la journée, toute la soirée, toute la nuit. Les promesses d'affaires sont plus sures que les serments d'amour. On ne se risquera pas à perdre, en affaires, un nom qu'on ne se soucie pas de perdre en amours. D'ailleurs, les hommes d'affaires tiennent paroles, et souvent même, sans aucun document écrit et signé. Ca ne les empêche pas d'avoir plusieurs maitresses, auxquelles ils promettent la même fidélité.

Décidément, l'amour, ca n'est pas une si bonne affaire. Mieux vaut une jolie voiture, un appartement confortable. L'un ou l'autre dureront plus longtemps que n'importe quel amant.

Avec un amant, l'amour se consume, en une seule nuit. Et le jour, on ne sait plus où sont passés, ni l'amant, ni l'amour. Il n’en reste bien souvent que de la fumée.


dimanche 11 mai

Il y a quelques années, on dirait même que ca fait très longtemps, j'étais totalement absorbé par mon écriture... pas mon journal, et encore moins ce blog, mais par une série de textes poétiques que j'appelais: mes romans.

Par l'écriture, j'ai vécu dans un monde que je n'aurais pas trouvé ailleurs, ni autrement. Par le rêve, j'ai connu ce que la réalité ne pouvait pas m'offrir. Et puisque dans le rêve, le temps compte pour si peu, on peut dire que j'y ai vécu très longtemps. Et alors, rassasié de jours et de nuits... enfin, mon gout d'écrire s'est épuisé.

Les Muses m'ont abandonné. Il faut dire que je les ai toujours assez mal servies, sans le vouloir, bien sur, mais sans pouvoir faire mieux, ni autrement.

Et puis, tout récemment, en me relisant, j'en suis venu à la conclusion que c'est pour rien, tout ce que j'écris. Je n'écris à personne, personne ne me lit. Mais j'écris quand même, par habitude, sans trop savoir pourquoi, en cherchant un peu partout, cette précieuse inspiration... le dernier soupir d'un mourant.

Je suis prêt. Mes bagages sont faits. J'emporte peu de choses, et j'en laisse encore moins, des livres, des manuscrits... rien qui vaille. De toute façon, je ne sais pas encore à qui laisser ce rien. Il y a pourtant bien, quelque part, un jeune homme qui serait heureux d'en hériter, sans même savoir de qui ca vient. Mais je suis si pauvre, en idées, en argent, et plus pauvre encore en amis. Pour le peu qu'il m'en reste, je n'ai pas même de quoi me payer un héritier.

Mais je pars, c'est décidé, surtout que les autres sont déjà tous partis. Où? Je n'en sais trop rien. Sans doute, là où nous irons tous, où plusieurs se trouvent déjà, mais là, d'où on ne revient plus.

Je croyais que seule la maladie ou l'argent me convaincrait de partir plus tôt. Mais la santé dure plus longtemps que prévu, et l'argent aussi. Et pourtant, je suis toujours à deux doigts de partir, avant le temps.

C'est que je m'ennuie, tout seul, sur mon banc de parc, à attendre un train qui vient peut-être, mais qui n'arrive pas. J'aurais bien encore quelques folies à faire. Mais la santé est faible, la fortune aussi, alors, j''attends que l'une s'épuise avant l'autre. Et cette attente me tue. Et ce train, pour peu, j'irais marcher sur les rails, à sa rencontre.

Quand on sait qu'on va mourir, l'échéance peut nous sembler bien loin. Mais, aussitôt qu’on l’a décidé, on comprend qu'elle nous fonce dessus, comme un train de marchandises, comme l'express de minuit. Et alors, assez tôt, on est porté à ignorer, tout ce qui risque de durer trop longtemps.

Il est trop tard, pour retrouver le temps perdu de Proust. Quelle ironie! J’ai tellement perdu de temps, et il m'en reste désormais si peu, que ca ne vaut même plus la peine de poursuivre ma lecture, et encore moins, de la commencer. En fait, je me demande si ca vaut encore la peine d'écrire.


dimanche 13 mai

Ce soir, j'étais en Toscane, avec Laurent et Fabrizio, et bien qu'ils soient morts depuis longtemps, je les écoutais me chanter... e lucevan le stelle... lascia ch'io pianga... et soudain, ca m'est revenu.

J'avais oublié ce que c'est, que d'écrire. On oublie le temps et l'espace, on ne vit plus que dans le rêve qu'on s'invente... quelle magnifique façon de tromper la réalité! J'aurais voulu passer le reste de ma vie dans ce rêve, avec Laurent et Fabrizio, et donner un sens à ma rêverie, comme d'autres trouvent une poésie à leur vie. J'ai voulu diriger mes rêves, au lieu de les laisser venir à moi.

Je sais bien pourquoi les Muses m'ont abandonné. J'ai cessé d'écrire ce qu’elles me chantaient.


vendredi 17 mai

Il m'arrive de me sentir si triste, sans raison apparente. J'irais me coucher, sans souper, rien que pour fuir cette réalité qui ne signifie plus rien, pour moi.

Je marche sur la rue, je vois des gens, de jolis garçons. Je les trouve beaux, pendant un moment, ils me font sourire, j‘en oublie ma tristesse. Mais j’aperçois aussitôt une vieille femme, et je me rappelle que je suis vieux, que je vis dans un monde de vieux, où il n'y a plus d'enfants, plus de beaux jeunes hommes, et ca me rend triste.

Un ami m'a dit: tu n'acceptes pas de vieillir. C'est vrai, je n'accepte pas d'être vieux, de ne plus plaire aux beaux jeunes hommes. Et comment leur en vouloir? Les grands pères ne m'attirent pas, et je n'ose plus proposer ma vieille image aux jeunes hommes. Et pourtant, mon coeur sait-il que son corps est vieux? Oui, peut-être, il le voit, il le sait, il le comprend, peut-être, mais est-ce qu'il l'accepte?

Qu'est-ce que je donnerais, pour passer la soirée avec un beau jeune homme qui ferait semblant de m'aimer! Qu'est-ce que je donnerais? Rien! Je n'ai plus rien, ni le corps, ni le coeur, à peine l'ombre d'une âme, et encore, est-ce bien la douleur que je ressens? Ca n'est peut-être qu'une douleur animale. Et cette âme que j'ai perdue, qui sait, si ca n'est pas qu'un rêve, ou le souvenir d'un rêve.


dimanche 19 mai

Je suis forcé de m’intéresser aux arbres, aux fleurs, aux oiseaux, aux papillons. Je fais semblant de m’y intéresser.

Quand je rencontre des vieux, je leur parle de la température. Les vieux ne parlent plus de politique, ni de sport, et surtout, ils ne parlent pas ou plus de jolis garçons. Alors, quand tout le monde est bien d’accord qu’il fait beau, mais que c‘est un peu frais, pour la saison, on parle de nos jardins, et des fleurs qu’on y a planté, comme on parlerait de nos enfants qui grandissent. Quand on est vieux, et qu’on aime encore les garçons, mieux vaut parler des fleurs.


jeudi 23 mai

Mes amis, pour le peu qu’il m’en reste, mes amis ne savent pas lire, ils ne savent pas entendre non plus. Ils s’imaginent qu’on veut mourir parce qu’il pleut, que la journée est mauvaise, qu’on a perdu aux courses, ou tout simplement pour faire l’intéressant. Ils ne peuvent pas comprendre, ou accepter, qu’on veuille mourir, parce qu’on n’a plus envie de vivre: Comment, plus envie de vivre, est-ce possible? Mais non! Tout le monde veut vivre. Et si tu ne le veux plus, c‘est que tu es fou ou malade.

Bien sur, quand ils prétendent analyser les problèmes des autres, ils ne font, en fait, que leur projeter leurs problèmes. Et s’ils sont heureux, s’ils ne trouvent aucune raison de fuir la vie, alors, ils décident que personne ne peut avoir envie de mourir, sans être fou, ou malade. C’est justement le genre de raisonnement qui me rend malade, mais pas forcément fou.

Et puis, est-ce si sage, de vouloir vivre, à tout prix? Et qu’est-ce que la vie, sinon, une mort lente? On commence à mourir, bien avant la naissance. Mais je ne sais pas si on continue à vivre, bien longtemps, après la mort.

Bien sur, la vie nous apporte parfois quelques petits bonheurs. Mais, quand on y pense, le bonheur, ca n’est bien souvent que la cessation d‘une douleur, si bien, qu’il n’y a pas de bonheur, qui ne soit d’abord précédé d’une douleur, alors que bien des douleurs, ne sont pas forcément suivies d’un bonheur.

La vie n’est que l’illusion du bonheur, alors que la mort est la fin de la douleur. Et puis, la vie est éphémère, alors que la mort est éternelle. D’où j’en conclus qu’il est plus sage de désirer la mort, que de s‘attacher à la vie.


mercredi 29 mai

Le peu de temps qu'il me reste m'aveugle. Je ne vois plus les possibilités, s'il en est, je ne vois que les problèmes, toujours les mêmes, et la fatale échéance qui devrait tout résoudre.

Comme tout semble beaucoup plus clair, quand on n'est plus concerné. Bonnes ou mauvaises, les solutions nous viennent facilement. Mais, trop souvent, on pense à guérir les symptômes, et on oublie la cause première. Et comment peut-on guérir de la vie? La mort est-elle une solution? Ou simplement une illusion de bonheur?

Je suis vieux, pauvre et malade, pas forcément dans cet ordre, mais, l'un dans l'autre, ca fini quand même par faire une grosse montagne. Bien sur, aussi longtemps qu'on est jeune, riche et en santé, on la voit, de loin, comme une mince crête, à l'horizon, et on se dit: c'est peut-être une illusion... sinon, j'ai bien le temps, c'est encore si loin. Mais, une fois vieux, tout va plus vite, et le temps se fait plus rare. Après tout, la vieillesse, c'est d'abord ca, la fin de tous les temps.

Peut-être, si j'avais su, si j’avais vu venir les choses, j'aurais pu agir, faire quelque chose. Mais non. On m'avait pourtant averti, et puis, je voyais passer les autres. Mais, je me disais: j'ai bien le temps, c'est encore si loin.

Et voilà, c'est désormais tout près, j'y suis presque, je le vois bien, ca n'est plus une montagne à gravir, mais une pente raide à dévaler, un précipice, dont on ne voit pas le fond, peut-être même qu'il n'y en a pas, tout comme cette vie, dont on ne sait rien de plus... que le fond du précipice.

Parfois, je me dis: tout ca n’est qu’une rêve, je suis éternel, immortel, rien de fâcheux ne peut m’arriver, tout finira bien par s’arranger... à mon réveil. Oui, enfin, c‘est bien de ca qu’il s’agit. On parle de la mort comme d’un long sommeil. Mais c’est peut-être la vie, qui n’est qu’un rêve, dont la mort vient nous délirer.

Tout ca est bien compliqué. Comment choisir ce qu’il faut faire? On ne sait ni d’où on vient, ni où on va, et il faut quand même choisir le meilleur chemin.

On dirait ces épreuves, auxquelles les dieux de l’Olympe soumettaient les Grecs, pour s‘amuser, ou peut-être aussi, pour leur enseigner, je ne sais... quelle vérité.

Ca n’est peut-être qu’un jeu complexe, auquel se livrent les esprits immortels. Une fois mort, on s‘en éveille, et là, tous les autres nous attendent. Ils commentent, ou critiquent la partie qu’on vient de faire, et puis, quelqu’un nous demande: et alors, tu veux faire un autre tour?

Mais la mort ne m’inquiète pas, ca n’est qu’une porte à franchir, un boite de Pandore à ouvrir, un Rubicon à traverser. Non, ca ne me fait pas peur. Mais ce qu’il y a peut-être de l’autre côté, ca m’inquiète un peu, quand même. Si je le savais, si j’en avais la plus petite idée, ca changerait certainement ma façon de franchir cette porte, ce fleuve. D‘un autre côté, s’il n’y a rien, alors, justement, je m’inquiète pour rien.

Mais alors, pourquoi je m’inquiète? Et les autres, est-ce qu’ils s‘inquiètent aussi? Mais non, les autres, ils sont encore jeunes, et ils vivent ce jeu, comme s‘il devait durer pour toujours, comme s'il n'y aurait que des gagnants. Ils font comme moi. Ils attendent que la partie s'achève, pour constater qu'ils sont en train de la perdre. Et après, est-ce qu'il y aura une autre partie? Je ne sais pas.

Les dés sont jetés. Il y a bien un fleuve, au bout de ma route, et ca n'est pas le Rubicon, mais le Styx. Au loin, je vois venir une barque, celle de Charon. Il s'est arrêté, au milieu du fleuve, et il attend, appuyé sur sa rame, que je décide du jour et de l'heure... de toute façon, c'est lui qui aura le dernier mot.


lundi 3 juin

Il est entré, entre deux clients, j'ai cru qu'il accompagnait l'un ou l'autre. Il est passé entre nous, je parlais avec un ami... de quoi... je ne sais plus, j'ai oublié. Il portait un ensemble noir, ou foncé... grand, mince, pale, les cheveux longs, noirs et bouclés, la figure ronde, les yeux rieurs, le sourire narquois. Il m'a regardé, un instant, puis il est disparu, entre les piles de livres. Et moi je suis resté interdit, un moment.

Mon ami s'aperçu de ma distraction. Il chercha, derrière lui, ce garçon, qu'il n'avait sans doute pas remarqué, puis il tenta de reprendre la conversation. Mais je ne savais plus où nous en étions, et vraiment, je ne m'en souciais plus. Mon ami s'aperçu bien de ca aussi. Mais, comme on dit, un ange passe, en fait, il était déjà passé, car c'est bien ce que j'avais cru apercevoir. Enfin, nous discutions encore, depuis un moment, quand il reparu soudain devant moi. Je cru qu'il allait me parler, me demander quelque chose. Mais il me fit un magnifique sourire... plein de sous-entendu, auxquels je n'entendais encore rien, puis il sorti de la librairie. Mon ami demanda:

- Tu le connais?
- Non. Mais sa figure... ca me dit quelque chose.
- En tout cas, lui semblait te connaitre.
- Tu crois?

Bien sur, nous n'allions pas en parler toute la journée. De toute façon, mon ami manipulait son téléphone, il semblait essayer d'annuler un appel. Puis il me salua, à son tour, et sorti de la libraire.

J'aurais bien voulu faire la même chose, sortir, et partir à la recherche du mystérieux garçon. Mais, de toute façon, je n'avais pas la moindre idée de la direction qu'il avait prise. Et puis, était-il d'ici? Ou simplement de passage? Parce que des garçons, nous en avons bien quelques uns. Mais, d'aussi jolis...

Il ne me restait plus à espérer qu'il revienne bientôt. Quand? Avec un pareil sourire, on ne sait jamais.


mercredi 5 juin

Il est revenu, le mystérieux garçon. Je l'ai revu, hier soir, dans un parc, ou je me croyais seul. Je l'ai aperçu, en ouvrant les yeux. Il était assis, tout près de moi, sur un banc, comme le souvenir d’un rêve. J'ai voulu lui parler, lui dire quelque chose, le jour, je n‘aurais pas osé. Mais, à cette heure, de la nuit, et puis, ca n’était plus tout à fait un enfant, un garçon, un jeune homme, un fantôme. Alors, je risquai:

- Tu es bien joli.
- Tu me vois, comme tu le souhaite.
- Et sinon, comment es-tu?
- Je ne suis pas... pas comme toi.
- D'accord, si tu veux.
- Moi, je ne veux rien.
- Bon. Et qu'est-ce que tu fais ici, à cette heure?
- Ici, à cette heure, pour moi, ca n'existe pas.
- Et pourtant...
- Oui, je sais, pour toi, il y a bien un lieu, et une heure.
- Et alors...
- Allons, tu le sais bien.

Il avait raison. Je le savais, je l'avais deviné. Et pourtant, sa réponse me surprit. J'en fus ému. Je fermai les yeux, un moment. L'air était doux, presque parfumé. Je pensai, ce jeune homme, c'est un ange, ou l'idée que je m'en fais... de jeunes et jolis garçons. Mais les garçons ne viennent plus vers moi. Il me semble même qu'ils ne sont jamais venus. Alors, ce beau jeune homme, il faut bien que ce soit un ange.

Oui, je sais bien, Dieu, les anges, tout ca... ca n'existe pas. Mais quand on est si près de la mort, on veut bien croire à toutes sortes de choses, et si fort, que ces choses finissent par exister, en tout cas, elles apparaissent, dans nos rêves, et parfois même, quand le rêve est fini, et qu'on s'imagine avoir les deux yeux bien ouverts.

Oui, tout ca n'existe pas. Dieu, les anges, c'est dans ma tête, la dernière fantaisie de mon imagination, comme on dit, la folle du logis. Mais je ne vais pas me priver de jolis garçons, quand bien même ils ne seraient que des rêves. Après tout, ont-ils jamais été autres choses?


vendredi 7 juin

Et pourtant, ce garçon, de la librairie, il me semblait bien réel, à moi, et à mon ami aussi. Mais, avons-nous vu le même garçon? L'avons-nous vu... aussi joli? Je pense que mon ami n'a vu qu'un garçon, bien ordinaire, un client, peut-être, un visiteur, tandis que moi, j'ai vu un joli garçon qui me souriait. Lequel de nous deux a rêvé?

Peut-être bien qu'il y avait bien un garçon, et qu'il était joli, ils le sont si souvent. Et peut-être que mon ami n'a vu qu'un garçon bien ordinaire, parce qu'il ne sait plus rêver. Lequel de nous deux est le plus fou? Il parait que c'est moi, parce que je rêve...

Parce que moi je rêve, moi, je ne le suis pas.
Réjean Ducharme - L'avalée des avalés


mardi 11 juin

Il est bien vrai qu'on fait rarement deux fois le même rêve. Le mien n'est pas revenu. Quel dommage! Il était si joli. Il y a pourtant quelque chose qui m'intrigue. Ce jeune homme, cette apparition, ou ce fantôme des temps futurs, il ressemble beaucoup à un autre garçon, beaucoup plus jeune, qui vient aussi bouquiner, une ou deux fois la semaine. C'est un joli garçon, bien gentil... et parfois, je me dis, dans quelques années, quand il aura vieilli, il ressemblera peut-être à cet autre jeune homme. Et si ca se trouve, c'est le même garçon, plus vieux, qui est revenu du futur, pour me faire les sourires qu'il n'aurait pas osé m'offrir, quand il était plus jeune. Oui, je sais... Mais dans les rêves, tout peut arriver.


jeudi 13 juin

Dans les films, les romans, il arrive qu'on ait la chance d'aimer, encore une fois... une dernière fois. Dans mes rêves, j'attends encore que ca m'arrive... pour la première fois. Je sais très bien qui ca pourrait-être, puisque c‘est un rêve... ce garçon, celui qui vient parfois bouquiner... ou cet autre, qui n’est plus revenu. Dans ce rêve, nous passons de longs moments, sans dire un mot, peut-être même, sans penser à rien, à nous regarder, en souriant. Ensuite, je ne sais plus trop. Dans mes rêves, je n’ai pas beaucoup de contrôle. Une fois éveillé, je n’en ai plus du tout.

Une fois éveillé, c’est comme un rêve qui continue. Souvent, je ne sais plus faire la différence. Je marche sur la rue, sans raison, sans but. Les garçons passent, devant moi, sans me regarder, sans me voir. Pour eux, je ne suis plus qu'une ombre, un fantôme, un nuage. Ils me passent au travers, me déforment, me précipitent, en une flaque d'eau, froide, et blasée. On me marche dessus, dedans. On me traine, on m'étend. J'ai l'habitude. Je laisse passer... le temps. Je me rassemble... différent, indifférent. Je reprends ma place, jamais la mienne, et j'attends... je rêve.

Je pense, donc je suis. Je souffre, donc je vis. S'il n'y avait pas cette pensée, cette douleur, je ne serais plus... ou mort.

Le rêve, la folie et la mort. Il est certain que je rêve. Suis-je autre chose qu'un rêve? Avec le temps, ce rêve est devenu une folie, un monastère. Je m'y cache, il me protège. Je m'en évade, parfois, en rêvant, et je flotte, un moment, au dessus de ma folie. Suis-je fou? Et puis, ca me revient:

Parce que moi je rêve, moi je ne le suis pas.
Réjean Ducharme - L'avalée des avalés


lundi 17 juin

Quand je m'éveille... il le faut bien, parfois... je regarde autour de moi, et je ne vois rien qui me retienne. Le ciel, au dessus de ma tête, cet univers infini, éternel, et sans doute merveilleux, mais que je ne puis atteindre, avec ce corps... trop lourd, il y a peut-être aussi les paysages terrestres, parfois, en dehors des grandes villes, où on enlaidi, sous prétexte d’embellir, et les humains, mais si peu, et si peu souvent. Non, vraiment, je ne vois pas ce qui pourrait me retenir ici... plus longtemps. Je m‘y suis déjà beaucoup trop attardé, par négligence, ou par ignorance. Mais, je le vois bien, il n’y a rien ici, pour moi. Et moi, je ne suis rien de plus, pour les autres, ou pour le reste.


mercredi 19 juin

J'ai toujours cette pression, à la poitrine, une douleur que je voudrais soulager, en y appliquant une pression. Parfois, je tiens un oreiller, tout contre moi, ou je me couche dessus. Ca me fait du bien, pour un moment. Mais je sais bien ce qui serait mieux encore, plus chaud, plus doux, et plus vivant... un garçon, plein de vie, plein de joie. Voilà qui soulagerait ma douleur, et ferait mon bonheur.

L'amour est une douleur. Tout le monde la ressent, de différentes manières, et chacun essai de la soulager, à sa façon. Pour moi, l'amour est une douleur qu'on soulage, avec un autre. Et j’en rêve souvent, en tenant un oreiller, tout contre moi.

Hélas, rien que d'y rêver, ca ne soulage pas du tout, bien au contraire. Ca augmente même la pression intérieure. D'un autre côté, soulager cette douleur, sans d'abord l'avoir éprouvé, ca n'apporte aucune satisfaction. Ca laisse même un vide, intérieur, que plus rien ne saurait soulager.


dimanche 23 juin

Une première année s'achève, je ne le dis pas pour en faire le bilan, je le constate, simplement. Est-ce déjà la fin? La fin de ce journal, probablement. Sinon, il est fort possible que je dure encore un an. De toute façon, un an, c'est bien peu de temps, à mon âge, le temps passe si vite.

Un an, peut-être un peu plus. Ca pourrait bien se faire, d'un point de vue économique, et le moral suivra aussi, par habitude, par négligence. Quant à l'intellect, je doute qu'il s'en sorte aussi bien. Au cours des prochains mois, je m'enfoncerai probablement dans la folie, non pas celle qu'on m'aura imposée, mais celle que j'ai choisie. C'est ma dernière liberté.

Quant à ce journal, depuis le début, j'ai reçu plus de quatre mille visites, presque toutes du Canada, mais aussi de l'Allemagne, des États-Unis, de la France, de l'Italie, du Pérou, du Royaume-Uni, de la Russie, de l'Ukraine, et même de Trinidad-et-Tobago. Ce dernier mois, j'ai eu de nouveaux visiteurs de l'Argentine, des Pays-Bas, de la Tunisie et de la Malaisie. Pour le Canada, je veux bien supposer que la plupart de mes visiteurs étaient du Québec, et qu'ils parlent Français. Autrement, je n'ai eu que quarante visiteurs de la France, et je ne suis pas certain qu'ils étaient aussi des lecteurs. Quant aux autres, ils viennent de pays où on ne parle même pas l'Anglais. Aussi, je ne sais pas trop ce qui a pu les attirer sur mon blog. En fait, c'est peut-être, justement, parce qu'ils ne peuvent pas me lire... N'empêche, depuis le temps, et d'après le nombre de visites, j'aurais cru obtenir un plus grand nombre de lecteurs, même par hasard, ou par erreur. D'un autre côté, je ne me relis jamais, ou très rarement, alors...


Ces lignes insignifiantes datent du 23 juin 2013.
Tout m'invite à croire qu'elles seront les dernières de ce Journal.


Je me permets de paraphraser André Gide, il avait écrit la même chose, sur la dernière page de son journal, le 25 janvier 1950. Il mourait un an plus tard, le 19 février 1951, quelques mois, avant ma naissance. Il avait quatre-vingt-deux ans, un âge que je n'aurai jamais. J'en ai presque soixante-deux, et ca n'ira pas beaucoup plus loin. Mais, quand il avait mon âge, quand j'ai eu le même que lui, à vingt ans, à trente ans, on aurait pu facilement nous prendre l'un pour l'autre... si on nous avait surpris, sagement assis sur une terrasse, devant un verre de vin, à rêver, à attendre...

Bien sur, ca fait drôle, de me comparer à Gide. Si jamais on me lit, on dira que je suis prétentieux, et c'est bien possible. Mais on ne me lis pas, alors... Quant à mal se juger, aussi bien se juger meilleur qu'on ne l'est, ca ne coute pas plus cher. Et puis, je ne prétends pas écrire comme lui, ni aussi bien, ni plus mal. J'écris et, il me semble, j'écris bien. Mais surtout, je meurs, ca, je le sens bien. Et c'est ce sentiment d'une mort prochaine, qui me rapproche de Gide, enfin, de lui, ou des autres...

Gide est mort, quelques mois avant ma naissance.

Qui naitra, quelque mois après ma mort?

                                                                                                                                                                                                                                 


2015


lundi 19 octobre 

Stalker, Stalcaïre, le fauconnier. C'est là, que j'irai hanter, quand mes jours seront passés, quand mes nuits seront venues. J'irai voler au dessus du Loch Linnhe, avec les chevaliers anciens, et les dragons disparus. J'irai nager dans le Loch Ness, avec la jolie Nessie, et sans doute, on me verra encore, dans quelques ruelles de Montréal, par les soirs sans lune, longeant un mur sombre, où je ne serai plus qu'une ombre, celle d'un fantôme, car je n’y serai plus, mais ailleurs, et bien loin.

J'irai à Stalker, rêver de beauté, d'amitié et d'amour. J'y emmènerai les jolis garçons de mes rêves, et ceux de mes veilles. Les fantômes n'emportent jamais que des souvenirs, et des regrets.

Je suis un fantôme, ou en passe de le devenir, on verra bien. Le décompte est commencé, je le sais, je le sens. J’ignore seulement quand il s‘arrêtera. Mais le temps est court, les heures s’écoulent, les minutes s’envolent, et les infernales secondes se bousculent.

J’ai si longtemps couru après le temps, quand il me fuyait encore, et maintenant que je voudrais le fuir, il me rattrape, il me précède, et parfois, même de loin, je l'entends rire, dans ma tête. Il se moque de moi: tic tac, tic tac, comme un étourdissant ostinato, qui me répète, en échos:

- Allez viens, je t'attends...

J'imagine que ca se passera en hiver. Au printemps, il ne restera plus rien... un souvenir, peut-être... un regret... Rien d‘autre.

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